09/26/2025 | Press release | Distributed by Public on 09/26/2025 07:19
Une ordonnance provisoire d'un tribunal de New Delhi rendue le 6 septembre permet à une filiale du conglomérat industriel Adani d'exiger le retrait des plateformes de tout contenu qu'elle considère comme diffamatoire. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un dangereux précédent, et demande que les plaintes pour diffamation soient traitées selon la procédure en vigueur, en statuant sur le fond, et non en autorisant des suppressions arbitraires de contenus.
Un tribunal de New Delhi a rendu une décision inédite le 6 septembre dans le cadre d'une plainte en diffamation déposée par Adani Enterprises Limited (AEL), filiale du puissant conglomérat dirigé par le milliardaire Gautam Adani, proche du Premier ministre indien Narendra Modi. Le tribunal a émis une ordonnance provisoire concernant cinq journalistes indépendants - Paranjoy Guha Thakurta, Ravi Nair, Abir Dasgupta, Ayaskant Das, et Ayush Joshi, ainsi que les sites d'information paranjoy.in, adaniwatch.orget adanifiles.com. Celle-ci exige la suppression d'une longue liste d'articles et de publications sur les réseaux sociaux et leur interdit de publier, diffuser ou rediffuser ceux-ci. Pourquoi ? car une analyse préliminaire du Tribunal a conclu qu'ils étaient potentiellement diffamatoires sur le seul fondement que le groupe Adani n'avait pas fait l'objet de condamnation par le passé… Plus encore, le Tribunal a étendu la décision aux contenus "similaires", qu'ils soient publiés ou non encore publiés à la date de la décision, offrant à la filiale du groupe Adani le pouvoir de déterminer quels contenus sont "non vérifiés, non étayés et manifestement diffamatoire" et exiger leur retrait, sans contrôle juridictionnel.
L'ordonnance comporte aussi une clause "John Doe" autorisant la multinationale à étendre l'action à des tiers non nommés. AEL peut ainsi transmettre aux plateformes, telles que Meta et Google, via les agences gouvernementales, les URL et liens de tout contenu qu'elle considère diffamatoire parce que "similaires" à la liste initiale, lesquels sont alors contraints de supprimer ce contenu sous 36 heures. Une entreprise privée se voit ainsi accorder le pouvoir de déterminer ce qui serait diffamatoire à propos de ses activités.
Le 16 septembre, en suivant une note envoyéepar AEL, le ministère de l'Information et de la Radiodiffusiona envoyé des notifications à plusieurs médias et chaînes YouTube ou Instagram pour exiger la suppression de plus de 138 vidéos YouTube et 83 publications Instagram mentionnant AEL. Parmi ces contenus, figurent des contenus de médias en ligne tels que The Wire, Newslaundryet HW News, ou encore des vidéos sur Youtube du journaliste indépendant, lauréat du prix RSF de l'indépendance en 2024, Ravish Kumar. De son propre aveu, le ministère a joué le rôle d'un simple "bureau de poste" sans vérifier, même sommairement, que les publications visées par Adani respectaient les conditions de la décision du 6 septembre.
À la suite des recours déposés par les journalistes Ravi Nair, Abir Dasgupta, Ayaskant Das et Ayush Joshi, un tribunal de New Delhi a partiellement annulé, le 18 septembre, l'ordonnance provisoire les concernant. Le tribunal avait en effet rendu une ordonnance "ex parte"- qui ne donne pas aux mis en cause la possibilité de présenter leur version des faits.Lors du recours, le juge a estimé que les journalistes auraient dû être entendus avant que leurs articles ne soient qualifiés de diffamatoires et que leur retrait ne soit ordonné. Quelques jours plus tard, le 25 septembre, un tribunal de Delhi a suspendul'interdiction faite au journaliste Paranjoy Guha Thakurta de couvrir le groupe Adani, en attendant un nouveau jugement. Newslaundryet Ravish Kumar ont également déposé des recours. Contacté par RSF pour commenter ces affaires, le ministère de l'Information n'a pas répondu.
"Une entreprise privée ne devrait pas pouvoir déterminer unilatéralement le caractère prétendument diffamatoire d'informations journalistiques. Et le gouvernement ne devrait pas se substituer à des plaignants privés, ni orchestrer des retraits massifs de contenus sans en vérifier la pertinence, et a fortiori avant toute décision sur le fond. Toute allégation de diffamation doit être traitée sur la base de preuves. De telles mesures s'apparentent à de la censure et font peser une menace directe sur la liberté de la presse. Elles ouvrent la voie à des dérives majeures visant à dissuader toute enquête journalistique et privent le public d'informations d'intérêt général. RSF demande l'annulation immédiate complète des notifications du ministère de l'Information visant des contenus journalistiques, et la restauration des articles de presse et contenus déjà supprimés dans l'attente d'un examen contradictoire.
Paranjoy Guha Thakurtaet Ravi Nairont été ciblés à plusieurs reprises ces dernières années pour leurs enquêtes sur le conglomérat Adani. À ce jour, sept affaires intentées contre Paranjoy Guha Thakurta pour diffamation par des sociétés liées au conglomérat Adani sont toujours en cours.