Prime Minister of the French Republic

10/02/2025 | Press release | Distributed by Public on 10/03/2025 21:27

Cybersécurité et intelligence artificielle : quelle place pour les femmes

Où sont les femmes ? Alors que l'intelligence artificielle, le numérique et la cybersécurité occupent une place croissante dans nos vies, les femmes restent largement sous-représentées dans ces secteurs stratégiques. Selon un rapport du Haut Conseil pour l'égalité, en France, elles ne représentent que 29 % des effectifs du numérique, un chiffre qui tombe à 16 % dans les métiers techniques.
Face à cette réalité, deux femmes prennent la parole : Aurélie Jean, scientifique en modélisation algorithmique, autrice, présidente et co-fondatrice d'INFRA, une entreprise spécialisée dans la détection précoce du cancer du sein, et Nolwenn Le Ster, présidente de la commission cybersécurité de Numeum et directrice des opérations d'Almond. Leurs trajectoires pointent les freins structurels rencontrés mais aussi les leviers possibles pour permettre aux femmes de participer à la construction du monde.

Comment avez-vous construit votre carrière ?

Aurélie Jean : J'ai toujours voulu être scientifique. À l'âge de 7 ans, quand j'ai écouté une émission de radio qui parlait des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), cela m'a donnée envie de faire de la recherche, alors que je ne connaissais pas cette institution. J'aimais les sciences, je suis donc entrée en maths et physique à Sorbonne université, puis mes professeurs m'ont parlé de l'École normale supérieure (ENS) que j'ai intégrée avant de rejoindre les Mines de Paris pour ma thèse de doctorat. J'ai fait dix ans de recherche académique (dont sept dans les universités américaines). Aujourd'hui, je fais de la recherche et du développement au sein de ma start-up, INFRA.

Mon objectif a toujours été d'être libre et de résoudre des problèmes complexes, et je pense avoir atteint cette liberté.

Aurélie Jean

  • Scientifique en modélisation algorithmique, autrice et présidente & co-fondatrice d'INFRA
Nolwenn Le Ster : J'ai toujours voulu agir pour le bien commun et contribuer à l'évolution de la société. Comme Aurélie, j'adorais les maths ; je suis arrivée naturellement dans des cursus scientifiques puis en école d'ingénieurs. J'ai suivi une formation à Télécom Bretagne sans vraiment savoir que c'était une école du numérique. Puis, dans ma carrière, j'ai toujours orienté mes choix vers un numérique utile, qui contribue positivement à la société. Quand j'ai eu mon troisième enfant, je me suis demandé ce que je voulais faire pour les vingt années suivantes, et j'ai décidé de me consacrer à la cybersécurité, parce que le numérique est formidable, mais il doit être sécurisé.

En quoi consiste exactement votre métier ?

Nolwenn Le Ster : Chez Almond, j'encadre des équipes qui accompagnent la sécurisation de l'informatique d'entreprises, d'administrations, de collectivités, etc. Elles surveillent l'informatique, identifient des éléments malveillants, réagissent, un peu comme des pompiers, puis reconstruisent. Plus globalement, chez Almond, nos équipes pensent l'informatique pour qu'elle soit plus sécurisée. Par exemple, nous surveillons en amont pour capter les signaux faibles afin de prévenir l'attaque informatique d'un hôpital et d'éviter toute coupure de service. Cela peut être vital.
Aurélie Jean : Je construis des modèles algorithmiques dans l'objectif de simuler un phénomène réel pour répondre à une question ou résoudre un problème, comme anticiper un évènement. Chez INFRA, nous concevons des modèles pour rendre la médecine pour la santé des femmes plus prédictive, plus précise et plus personnalisée.

Y a-t-il eu un moment de bascule dans votre parcours ?

Aurélie Jean : C'était en 2017. Lorsque j'ai appris que ma grand-mère avait un second cancer du sein, j'ai quitté mon poste à Bloomberg aux États-Unis pour la rejoindre en France, sans savoir ce que j'allais faire. J'ai toujours appris à transformer une situation personnelle a priori contraignante en une opportunité professionnelle. J'ai tenté de le faire en revenant en France pour Mamy. Un mois après son décès, j'ai décidé de travailler sur le cancer du sein et deux ans après, on a créé INFRA, en concevant une solution d'IA qui aurait pu la sauver.
Nolwenn Le Ster : Quand mon premier enfant a eu 8 ou 9 ans, tous ses camarades jouaient à Fortnite, réclamaient un smartphone. Je n'étais pas pour, mais je ressentais une pression sociale.

J'ai décidé de m'orienter vers la cybersécurité pour exercer une influence positive sur l'évolution du numérique et contribuer à un monde numérique avec plus de sens, plus de sécurité, de sobriété, d'éthique.

Nolwenn Le Ster

  • Présidente de la commission cybersécurité de Numeum et directrice des opérations d'Almond

Quel était le discours sur les femmes et les ambitions professionnelles dans votre famille ?

Aurélie Jean : J'ai eu l'immense chance d'avoir été élevée par des grands-parents profondément aimants, aux valeurs à la fois traditionnelles et progressistes. Papy est devenu féministe en m'élevant, et Mamy m'a toujours regardée avec une admiration et une fierté que sa génération n'avait pas pu lui offrir. Je leur dois tout ! Papy me disait toujours que je ne devais pas me laisser limiter par mon genre, ni ma classe sociale.
Nolwenn Le Ster : Je viens d'un milieu où la valeur travail est centrale. Mes grands-parents étaient agriculteurs et ouvriers et chez nous, les mathématiques étaient perçues comme une matière clé. Quand on n'a pas de livres à la maison, c'est un moyen de se distinguer, de s'en sortir par l'effort. Le rapport à la terre, à l'environnement, et la nécessité d'avoir un impact positif sur le monde sont des valeurs qui m'ont forgée.

Et dans votre carrière, avez-vous fait face à des biais ou discours sexistes ?

Aurélie Jean : J'ai tellement d'exemples, principalement en France malheureusement. J'entends dire sur moi que je n'écris pas mes livres et mes chroniques ou encore certains s'interrogent sur mon parcours… Une femme qui suscite le doute. Il faut que ça cesse.
Nolwenn Le Ster : En tant que femme propulsée très jeune dans des comités de direction, il m'est arrivé qu'on s'approprie mes idées, ou que l'on me qualifie d'« agressive » voire d'« hystérique » quand je défendais mes convictions. Les femmes doivent savoir qu'un filtre sexiste existe, et qu'il ne doit en aucun cas conduire à l'autocensure. Les hommes, eux aussi, doivent prendre conscience de ces biais. Quand une telle situation se présente, je n'hésite pas à discuter avec les personnes concernées pour faire évoluer les comportements collectivement.

Il y a aussi une pression sociale très forte sur les mères qui travaillent, surtout à des postes à responsabilités…

Nolwenn Le Ster : Oui, et parfois, c'est violent. Je me souviens que l'on me disait, quand mes enfants étaient plus jeunes, de faire attention à ne pas « créer des cas sociaux », que la nounou ne pouvait pas tout faire… Ce discours vient autant de la sphère familiale que professionnelle. Je suis persuadée que si l'on est épanouie dans sa vie professionnelle, on l'est aussi à la maison.

Pourquoi, selon vous, les femmes sont si peu nombreuses dans des métiers de la technologie ou les filières scientifiques ?

Aurélie Jean : Il y a de nombreux facteurs à l'œuvre : culturels, éducatifs, économiques… Des études montrent que les parents, les enseignants et plus largement la société adoptent des comportements différents vis-à-vis des filles dès le plus jeune âge, notamment en mathématiques. Une fille avec 16 de moyenne sera souvent perçue comme moins douée qu'un garçon ayant 15. Dans les domaines lucratifs comme l'informatique, les femmes, qui étaient majoritaires ou à parité jusqu'aux années 1980, ont progressivement été écartées. On peut aussi citer l'invisibilisation des travaux des femmes dans les sciences, dans le passé comme aujourd'hui.
Nolwenn Le Ster : Dans la cybersécurité, l'image du geek à capuche est tenace. Le métier est encore vu comme très technique, isolé, peu accessible et sans véritable sens ou impact. On ne parle pas assez de la dimension sociétale de ces métiers.

Que peuvent apporter les femmes à ces métiers ?

Nolwenn Le Ster : On a besoin du pragmatisme des femmes dans les approches, de leur capacité à faire le lien entre le numérique et les usages, notamment pour les enfants. La diversité est une grande richesse dans nos domaines, surtout quand il s'agit de proposer des manières de penser disruptives.

Quelles politiques concrètes permettraient d'attirer davantage de jeunes femmes vers les filières scientifiques et techniques ?

Aurélie Jean : Je crois à l'impact positif de l'attribution d'une bourse d'honneur à toutes les étudiantes méritantes qui choisissent une filière scientifique (en dehors de la médecine ou de la pharmacie, qui attirent autant les étudiantes que les étudiants). Ce serait un signal fort envoyé à ces jeunes femmes enfin considérées pour leur choix, mais aussi aux familles qui verront dans cette bourse une « voie royale » à soutenir chez leurs filles. Il n'y aurait pas de syndrome de l'imposteur, pas de doute sur leurs capacités et cette bourse leur permettrait de subvenir à leurs besoins durant leurs études.
Nolwenn Le Ster : Il faut que la place des mathématiques dans ces cycles soit au bon niveau. Les actions de communication, de mentorat sont importantes, mais ça ne suffit pas. Je ne suis pas convaincue par les quotas, mais je me demande si on ne doit pas y venir. Dans les entreprises, cela a des effets.

Quels conseils donneriez-vous à une jeune fille qui hésite à s'engager dans ces filières ?

Aurélie Jean : Je leur dirais que c'est un milieu incroyable ! Elles peuvent changer le monde en s'attaquant aux plus grands problèmes de l'humanité. Elles seront stimulées intellectuellement toute leur vie car elles ne cesseront d'apprendre, et elles gagneront bien leur vie ! L'indépendance financière et intellectuelle forment la meilleure combinaison pour la féministe libérale que je suis.
Nolwenn Le Ster : On a tous le même cerveau. Il n'y a pas de raison de douter. Au pire, tu n'aimes pas. Ce sont des formations très valorisées, même après cinq ans, tu peux bifurquer. Il y a du travail, c'est bien payé, ça bouge, il y a plein de métiers différents. Et si tu n'as pas d'exemple autour de toi, ce n'est pas grave. Tu peux être l'exemple !

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Prime Minister of the French Republic published this content on October 02, 2025, and is solely responsible for the information contained herein. Distributed via Public Technologies (PUBT), unedited and unaltered, on October 04, 2025 at 03:27 UTC. If you believe the information included in the content is inaccurate or outdated and requires editing or removal, please contact us at [email protected]