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09/19/2025 | News release | Distributed by Public on 09/19/2025 05:09

La musique de série TV à l’image : entretien avec Audrey Ismäel et Saycet

La musique de série TV à l'image : entretien avec Audrey Ismäel et Saycet

19 septembre 2025
Séries et TV
Tags :
  • musique
  • mini-série
Les séries « Belphégor », « Désenchantées », « Les Disparues de la gare »

Le Festival de la Fiction, qui se tient jusqu'au 21 septembre à La Rochelle, accueille une cinquantaine de compositeurs accompagnés par la Sacem, dont Audrey Ismaël (Désenchantées et Belphégor) et Saycet (Les Disparues de la gare). L'occasion de revenir sur les enjeux de la composition de musiques de séries et leurs parcours respectifs.

Comment vous êtes-vous retrouvés impliqués dans vos projets respectifs ?

Audrey Ismaël : Pour Belphégor, c'est la productrice Aude Albano, de Pathé, qui m'a appelée il y a un an pour me proposer de rencontrer le réalisateur, Jérémy Mainguy. Nous avions déjà failli collaborer sur un autre projet qui ne s'est finalement pas réalisé. Jérémy avait écouté mon travail sur quelques films et séries. Après lecture du scénario, je leur ai proposé un univers musical. Concernant Désenchantées, c'est une nouvelle étape dans ma collaboration avec le réalisateur David Hourrègue après les séries Germinal, Rivage et Anaon… C'est une relation de travail très fluide et stimulante. Après le réalisme historique, la science-fiction et l'horreur, Désenchantées est notre première incursion dans le drame pur.

Saycet : Je connais très bien Gaëlle Bellan, la showrunneuse des Disparues de la gare. La série s'inspire de crimes survenus à Perpignan entre 1995 et 2001. C'est un projet qui mûrit depuis une dizaine d'années. Nous en avons beaucoup parlé en amont, ce qui m'a permis de laisser infuser l'univers du projet.

Audrey Ismaël, Belphégor est un projet qui renvoie à une série culte des années 1960 dont la musique était composée par Antoine Duhamel. Avez-vous eu la tentation de vous en inspirer ?

A.I : Je n'ai pas spécialement écouté ce qui avait été fait à l'époque. Je suis plutôt partie d'une page blanche. Le traitement de l'histoire est très contemporain. J'ai choisi une musique assez mystérieuse, composée uniquement de cordes pour proposer un univers très organique, presque mythique. Il s'agissait d'accompagner le côté intemporel et mythologique du personnage de Belphégor.

Et vous Saycet, Les Disparues de la gare s'inspire d'une histoire vraie, était-ce inhibant ?

S : Certes, j'avais une base très concrète à laquelle me référer. Il y avait une volonté de rester dans une certaine pudeur. Les personnages sont inspirés de personnes réelles et certaines familles de victimes sont encore vivantes, il fallait donc éviter d'être trop démonstratifs. Musicalement, cela signifie éviter la note ou l'instrument « de trop », ne pas appuyer artificiellement une émotion qui se suffit à elle-même. Parfois, il faut simplement savoir ne pas mettre de musique. J'ai cherché à créer une palette hybride, avec des éléments électroniques - pour l'aspect thriller, la tension, le mystère -, et des compositions au piano plus associées à l'intime, à l'intériorité des personnages. Je m'appuie aussi sur des cordes pour évoquer des états psychologiques plus complexes. Il ne s'agissait pas de juxtaposer ces éléments, mais de les faire dialoguer. Certaines textures électroniques se fondent dans les cordes, le piano devient presque percussif. L'idée était de refléter la porosité entre les émotions - la peur, le doute, la tendresse, le trauma - tout en conservant une cohérence sonore globale.

Avez-vous été guidé par une idée précise ?

S : L'intrigue se déroule à Perpignan, j'ai donc pensé à la tramontane, ce vent très particulier du sud de la France. Il peut être sifflant, dérangeant, presque obsédant. Il a même la réputation de rendre fou. J'ai voulu travailler à partir de cette idée, en utilisant aussi bien l'orchestration que l'électronique pour l'évoquer. Il y a donc beaucoup de clarinettes basses, des sons électroniques sifflants, des textures sableuses ou bruits blancs qui rappellent le souffle du vent. C'est un point de départ très sensoriel et atmosphérique.

Belphégor Caroline Dubois - Pathé séries - HBO Max - M6

Audrey Ismaël, l'utilisation que vous faites des cordes dans Belphégor s'inscrit-elle dans cette même logique narrative dont parle Saycet ?

A.I : Les cordes permettent, en effet, de créer des ambiances très particulières. J'ai utilisé également des cymbales ou des percussions pour les scènes d'enquête qui sont plus ancrées dans le réel. Mais globalement, on a opté pour les cordes permettant de souligner le mysticisme autour du masque de Belphégor. Il y a également cette idée de flash-backs, de cauchemars, de ruptures temporelles dans la réalisation. C'était passionnant d'accompagner ça en musique. J'ai aussi créé une « signature sonore » du masque : trois notes récurrentes qui reviennent quand il apparaît. Ça renforce son aspect mythique et mystérieux.

Parlez-nous de l'univers musical de Désenchantées...

A.I : La série était déjà imprégnée d'une forte présence musicale. C'était une nouveauté pour moi. J'ai donc choisi de composer des choses très épurées à partir de guitares, de piano, avec également des cordes, mais avec beaucoup de sobriété. J'ai aussi composé un thème récurrent associé aux flash-backs.

La fonction de la musique est-elle claire dans votre esprit au moment de la composer ?

S : Sur le papier, oui. Mais dans la pratique, ça devient vite plus complexe. Je crois que tout musicien veut toujours aller vers l'intériorité des personnages. Des nécessités pragmatiques liées au montage, donc à la narration, nous obligent parfois à créer une musique pour soutenir une scène qui a besoin de plus d'intensité.

A.I : Personnellement, je préfère toujours qu'on laisse respirer les scènes. En série, nous sommes parfois plus contraints par le format et certains codes narratifs. Pour le cinéma, en revanche, j'arrive souvent à l'éviter. Pour les scènes d'action ou de tension, la musique peut vraiment faire corps avec l'image. Ça fonctionne plutôt bien. Mais sur des séquences dialoguées, si on sent qu'il faut de la musique pour « faire tenir » la scène, c'est souvent que l'intention initiale n'était pas juste.

Vous commencez souvent à travailler sur un projet bien avant d'avoir vu les premières images. Comment compose-t-on sans elles ?

S : De mon côté, j'ai écrit des thèmes très tôt en me basant uniquement sur mes discussions avec Gaëlle Bellan, mais également sur la documentation autour de l'affaire et l'arche narrative. Ces thèmes sont comme des outils modulables : certains vont être utilisés tels quels, d'autres vont être déconstruits, réharmonisés, réorchestrés. En travaillant ainsi, je peux me concentrer sur l'intention pure, l'émotion brute. Plus tard, quand les images arrivent, c'est comme si je les habillais avec des tissus que j'avais déjà tissés, mais que je dois retailler.

A.I : Je commence également dès la lecture des scénarios. C'est souvent à ce moment-là qu'on trouve la bonne musique, celle qui résonne avec l'histoire, l'univers que le réalisateur veut créer. Une fois obtenu ce lien entre la musique et le récit, nous pouvons ensuite l'adapter à l'image. Composer directement sur les images n'est pas ce que je préfère, j'ai besoin de cette première phase d'imprégnation, de lecture, de rêverie presque, pour trouver le ton juste.

Désenchantées Eloise Legay - Banijay Studios France / France Télévisions

L'écriture d'un thème structure-t-elle en amont votre travail ?

S : Je commence toujours par la couleur sonore, la texture. Par exemple, je me dis : « Je veux travailler avec une clarinette. » Ensuite, je construis un thème à partir de cette couleur. Une fois ce thème créé, je peux le décliner, l'adapter, le transposer à d'autres instruments, comme le piano par exemple, ce qui peut créer des effets très intéressants d'un point de vue narratif. Mais c'est vraiment la matière sonore qui guide tout le reste chez moi. Finalement, il y a cinq thèmes différents pour Les Disparues

A.I : Je compose d'abord un ou plusieurs thèmes au piano. Ce sont souvent des choses simples. Cette simplicité permet une forme de clarté émotionnelle, de justesse. Je suis très sensible à la couleur rythmique d'une fiction. Parfois je démarre sur un synthétiseur avec des sons programmés. Je n'ai pas une méthode unique.

La phase de montage peut-elle remettre en cause votre musique ?

A.I : Le ping-pong avec les monteurs me plaît. Je leur livre une boîte à outils et je fais confiance à leur intuition pour le placement des musiques. Ils font des propositions, puis nous échangeons, nous affinons. C'est un processus en plusieurs étapes. C'est le moment où la musique entre véritablement dans la fiction, elle s'incarne. In fine, nous formons une sorte de trio avec le réalisateur, le monteur et moi.

S : Les allers-retours avec le monteur sont assez courants, surtout avec les séries. C'est un moment de réajustement, toujours enrichissant. Cela demande une part de réactivité : il faut pouvoir changer une ambiance, réécrire une scène dans un délai très court.

Vous avez travaillé tous les deux pour le cinéma et les séries. Sentez-vous une différence dans l'approche ?

S : Au cinéma, nous travaillons généralement en tandem avec un réalisateur ou une réalisatrice. Il y a donc moins d'arbitrage, plus de liberté et plus de temps. Pour les séries, les délais sont plus courts pour une quantité de musique supérieure. Sur Les Disparues de la gare, j'ai eu la chance d'avoir des conditions identiques à celles du cinéma, ce qui est assez rare.

A.I : Jusqu'à présent, au cinéma, j'ai souvent travaillé sur des personnages féminins, plutôt jeunes, à ce moment charnière entre l'enfance et l'âge adulte. C'était le cas dans Le Royaume, Diamant brut ou encore Le Consentement… Je ne sais pas si c'est moi qui renvoie cette sensibilité-là, mais c'est une voix qui m'intéresse beaucoup. Cela dit, je serais aussi très heureuse de travailler sur d'autres types de personnages à l'avenir. En série, c'est, pour l'heure, plus ouvert.

Ces trois séries ont bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (FSA) du CNC via l'Aide automatique à la production pour Désenchantées - en compétition pour la Meilleure série française de 52 minutes -, l'Aide sélective à la production pour Belphégor et l'Aide automatique à la production et Avances pour Les Disparues de la gare, toutes deux sélectionnées hors compétition.

La Sacem remettra le Prix de la meilleure musique originale lors de la soirée de clôture du festival.

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