09/25/2025 | Press release | Distributed by Public on 09/25/2025 13:51
Depuis sa réélection, Donald Trump renforce son offensive contre la liberté de la presse. Le démantèlement des médias publics américains sert directement la propagande de Vladimir Poutine. Reporters sans frontières (RSF) a interrogé Régis Genté, correspondant pour Radio france internationale (RFI) pendant près de 20 ans en Géorgie, spécialiste de la zone et auteur de "Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes", sur les convergences de discours entre Donald Trump et Vladimir Poutine et leurs conséquences sur le droit à l'information.
RSF : Dans votre livre, vous prédisiez, que le retour de Donald Trump au pouvoir, serait synonyme de la mise en place d'un régime autoritaire voire dictatorial. Depuis sa réélection, Donald Trump s'attaque de front à la liberté de la presse, notamment par le démantèlement des médias publics. En quoi cette offensive sert-elle les intérêts et la logique de la propagande russe ?
Régis Genté : J'avais prévu qu'il chercherait à instaurer des lois liberticides, restreignant la démocratie. Et cela s'est confirmé très rapidement, notamment dans son rapport aux médias. À peine un mois après son retour au pouvoir, il a démantelé les médias publics américains. Une décision qui constitue une véritable opportunité pour Poutine, puisqu'elle a entraîné la disparition de radios et télévisions comme Voice of America(VOA), Radio Free Europe(RFE) ou Radio Free Asia(RFA). Autant d'outils qui, jusque-là, constituaient des contrepoids face à la propagande russe.
Le fait de s'attaquer à la liberté de la presse sert Vladimir Poutine, mais aussi l'ensemble des régimes autoritaires de l'ancien espace soviétique que j'observe depuis 25 ans. Je me souviens de nombreux épisodes, ces dernières années, où des dirigeants autoritaires - en Azerbaïdjan ou en Asie centrale - se sont plaints auprès des Américains parce que des médias comme RFEenquêtaient sur la corruption de leurs familles. Ces médias représentaient une alternative essentielle aux organes d'information totalement contrôlés dans ces pays.
Leur disparition constitue donc une perte considérable. RFE, VOAet d'autres disposaient de moyens importants et permettaient aux populations locales d'accéder à une information indépendante, souvent inaccessible autrement. En les supprimant, les États-Unis rendent un grand service à Poutine. Cela renforce en effet son influence post-impériale, fondée sur des alliances avec les élites locales - comme avec Loukachenko au Bélarus ou Yanoukovitch en Ukraine -, tandis que les populations, elles, cherchaient plutôt à s'émanciper de Moscou et à se tourner vers l'Ouest. Non pas forcément par idéologie, mais parce que l'Occident représente la prospérité, la liberté d'entreprise, une justice moins corrompue. La disparition de ces médias va priver ces sociétés d'informations cruciales et faciliter la mainmise de Moscou, en consolidant la relation exclusive entre la Russie et les dirigeants locaux.
C'est ainsi l'occasion pour Vladimir Poutine d'imposer un discours unique…
C'est un boulevard pour Poutine, qui peut effectivement désormais imposer un discours unique, renforcé par sa maîtrise croissante des réseaux sociaux. Les États-Unis constituaient autrefois, à tort ou à raison, un modèle de liberté. Lorsqu'ils condamnaient les dérives d'un régime, cela avait un véritable écho auprès des populations. Aujourd'hui, ce modèle s'effondre : Donald Trump laisse entendre que les licences des médias critiques à son égard pourraient ne pas être renouvelées. Il adopte ainsi la même logique que la Russie depuis longtemps : contrôler les médias à sa convenance. Dans les pays que j'observe, cela a un impact direct. Les sociétés civiles, par exemple en Géorgie actuellement, ressentent un profond désespoir. Elles ne perçoivent plus les États-Unis comme une puissance prête à défendre les principes démocratiques ou à sanctionner les régimes corrompus. L'Europe tente de porter ce rôle, mais elle n'a pas le même poids ni la même autorité que les États-Unis.
Quels sont, selon vous, les fondements de la relation Trump-Poutine ?
C'est une relation longue et complexe, fondée sur quatre types de raisons. La première raison est que, manifestement, Trump reste lié à son histoire avec Moscou - relation qui remonte aux années 1970, lorsqu'il est repéré par les services de sécurité d'État de Tchécoslovaquie socialiste, qui constituent à l'époque une antenne du KGB soviétique (service de renseignement russe). Plus tard, à la fin des années 1980, Trump est invité pour la première fois à Moscou dans ce qui relève vraisemblablement d'une opération du KGB. Cela ne signifie pas pour autant que Trump ait été un agent du KGB mais plutôt un "contact confidentiel" que l'on aide à progresser dans sa carrière, à se faire connaître, à surmonter ses difficultés financières, à obtenir des contacts dans le monde.
La deuxième raison est que, indépendamment de la Russie, Trump, par sa personnalité et sa vision du monde, est naturellement compatible avec l'univers poutinien.Il n'a aucune sympathie pour la démocratie libérale, mais une admiration pour les États forts. Il conçoit les relations internationales comme des rapports de force. Ce mode de pensée le rend plus à l'aise dans le monde tel que le conçoit Poutine que dans celui des démocraties européennes, ou même avec une partie des démocrates et républicains américains. Ce n'est donc pas seulement une influence extérieure : sa trajectoire personnelle le pousse à s'inscrire dans cette logique.
La troisième raison est que Trump cherche à transformer la nature du régime américain, à sortir du cadre démocratique. Or, tout dirigeant a besoin d'une forme de légitimité, à la fois intérieure et internationale. Les démocraties recherchent cette reconnaissance auprès d'autres démocraties ; les régimes autoritaires, auprès d'autres régimes autoritaires. Si Trump veut instaurer un système qui ne soit plus démocratique, il lui faut s'entourer de pairs semblables : d'où ses affinités avec Vladimir Poutine, Viktor Orbán ou encore Nayib Bukele. Il s'agit de se légitimer, de se reconnaître entre semblables sur la scène internationale.
La quatrième raison tient à la personnalité de Trump face à la guerre. Certes, il a récemment durci son discours en rebaptisant le ministère de la Défense en ministère de la Guerre et en lançant des offensives militaires contre le narcotrafic. Mais globalement, il apparaît réticent face à la guerre, et il nourrit une réelle peur du nucléaire.
En définitive, la relation entre Trump et la Russie repose donc sur quatre fondements distincts mais complémentaires : une dépendance financière héritée d'anciens liens avec le KGB et ses relais, une compatibilité idéologique avec le modèle autoritaire russe, une quête de légitimité internationale auprès de dirigeants similaires, et enfin une inquiétude profonde vis-à-vis du nucléaire qui l'incite à ménager Moscou.
Comment ce lien se matérialise-t-il médiatiquement ? En analysant leur discours, peut-on parler de convergences des propagandes ?
Il existe bel et bien une proximité de langage entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Il est parfois surprenant de constater à quel point Trump peut presque répéter mot pour mot certains éléments de discours du président russe. Prenons l'exemple du nucléaire. Pour Poutine, il s'agit d'un outil de dissuasion, souvent du bluff. La réaction logique serait de ne pas le prendre au sérieux. Or Trump adopte la position inverse : il considère en permanence cette menace comme réelle, ce qui lui fournit un prétexte pour éviter d'affronter Poutine et, finalement, pour régler la question ukrainienne en faveur de Moscou. C'est ce qu'il a tenté de faire dans le Bureau ovale le 28 février dernier.
Ce schéma se retrouve dans d'autres domaines. H.R. McMaster, conseiller à la sécurité nationale durant le premier mandat de Trump, a révélé qu'en 2017, lors d'une rencontre à Hambourg, Poutine avait rappelé à Trump la doctrine Monroe : ce principe américain selon lequel les États-Unis considéraient les Amériques comme leur sphère d'influence. Poutine lui a déclaré vouloir la même doctrine pour la Russie : l'ancien espace soviétique devait lui revenir de droit, où il pourrait agir à sa guise. En évoquant ainsi un parallèle flatteur, Poutine a su trouver les mots qui résonnaient chez Trump.
Cela s'explique aussi par les références historiques de Trump. L'un des présidents américains qu'il admire le plus est Theodore Roosevelt, notamment pour sa vision impérialiste appuyée sur la doctrine Monroe. Poutine le sait, et il sait exploiter ces ressorts symboliques pour influencer Trump, l'attirer dans son univers mental et sa représentation géopolitique.
Enfin, on retrouve cette influence dans les méthodes rhétoriques. L'adversaire y est systématiquement diabolisé, réduit à une figure de radicalisme ou d'extrémisme, et donc privé de toute légitimité. C'est exactement ce que l'on observe ces derniers jours, notamment après l'affaire Kirk, où l'opposition est décrite uniquement en termes de menace radicale, sans droit d'expression.