Ministry of Europe and Foreign Affairs of the French Republic

10/29/2025 | Press release | Distributed by Public on 10/29/2025 11:14

Forum de Paris sur la paix - Conférence internationale pour l’intégrité de l’information et les médias indépendants - Segment politique de haut niveau - Propos de Jean-Noël[...]

Monsieur le président de la Chambre des représentants,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame la commissaire,
Mesdames et Messieurs les ambassadrices et ambassadeurs,
Monsieur le président du Fonds international pour les médias d'intérêt public,
Monsieur le président du Forum pour l'information et la démocratie,
Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à la toute première conférence sur l'intégrité de l'information et les médias d'intérêt public. Je suis particulièrement heureux que cette conférence se tienne dans le cadre de la 8e édition du Forum de Paris sur la paix. C'est en effet dans ce cadre que le Forum pour l'information et la démocratie et le Fonds international pour les médias d'intérêt public ont vu le jour. J'adresse mes remerciements au président du Forum pour l'information et la démocratie, M. Thibaut Bruttin, ainsi qu'aux co-présidents du Fonds international, Mme Maria Ressa, M. Mark Thompson, pour leur mobilisation au fil des années et des derniers mois pour nous permettre d'être rassemblés ici aujourd'hui. Chers amis, sans plus tarder, je vous propose d'ouvrir les débats. Mme Maria Ressa, vous êtes co-présidente de l'IFPIM, co-fondatrice et PDG de Rappler, et lauréate du prix Nobel de la paix en 2021 pour vos engagements en faveur de la liberté d'expression. Chère Maria, la parole est à vous.
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Je vais maintenant vous livrer quelques-unes de mes réflexions en rappelant les raisons pour lesquelles le Forum de Paris sur la paix et le président de la République ont voulu consacrer une place importante au sujet qui nous rassemble aujourd'hui. La vérité, chacun le voit, c'est que la démocratie est aujourd'hui en danger. Et je dirais même en danger de mort. Puisque sous les coups de boutoir des ennemis de l'extérieur mais aussi des ennemis de l'intérieur, c'est désormais le consentement à la démocratie qui décline dans un certain nombre de pays du Nord comme du Sud. Et c'est évidemment pour un certain nombre d'entre nous, pour tous les participants autour de cette table, un véritable motif de satisfaction. Alors on peut dénoncer les attaques provenant de l'extérieur, les attaques provenant de l'intérieur qui visent la démocratie. Mais ce faisant, on risque de se comporter comme spectateurs plutôt que comme acteurs du redressement de ce bien commun auquel nous sommes si profondément attachés.

Alors il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là. Il y a pour moi une raison fondamentale qui est que l'on a considéré, peut-être pendant trop longtemps et par habitude, que la démocratie repose sur un pilier qui est un homme, une voix ou une femme, une voix. En oubliant qu'en réalité, la démocratie, pour fonctionner, repose sur deux piliers. Le vote, auquel chacun a droit, mais qui est exercé par des citoyens qui sont pleinement éclairés et qui sont capables de discerner. Si vous retirez le discernement, si vous retirez la faculté donnée aux citoyens d'être éclairés, ça n'est pas la peine de leur donner le droit de vote car ils auront les plus grandes difficultés à l'exercer en tant que citoyens. Et comme nous avons oublié l'importance de ce second pilier, nous avons sous nos yeux laissé le débat public, l'espace de la concorde civique ou l'espace où se soldent les désaccords, être délocalisé sur des grandes plateformes de réseaux sociaux dont les règles sont fixées non pas démocratiquement mais par des milliardaires, souvent chinois ou américains, avec un certain nombre de conséquences majeures sur la qualité du débat public lui-même. Première conséquence, l'enfermement dans des bulles algorithmiques qui entravent la capacité des citoyens à débattre entre eux et à solder sur la place publique leurs différends. Deuxième conséquence majeure, ces espaces devenant le lieu où les citoyens consacrent une partie importante de leur temps et de leur bande passante cérébrale, c'est les journalistes qui ont été progressivement privés des ressources dont ils ont besoin pour exercer, comme ça a été si bien dit à l'instant, pour exercer leur mission, qui est celle d'éclairer les citoyens. Troisième conséquence, l'espace public, au lieu d'être un lieu de rassemblement, de réunion, est devenu un espace fragmenté, un espace fragmenté avec des failles au travers desquelles se sont insérés ceux qui ont bien compris qu'en instillant la désinformation comme un virus dans le débat public, ils viendraient à bout d'une manière ou d'une autre de la démocratie.
Je veux donc dire un mot de ce virus de la désinformation qui nous pose un problème démocratique et un problème collectif. Un virus qui se propage au sein des démocraties et qui finit par les empêcher de fonctionner convenablement. Il nous apparaît que pour combattre ce virus, il faut l'aborder de la même manière qu'on le ferait d'un virus au sens littéral, au sens propre du terme : par la détection, par le traitement et puis par les anticorps.

Par la détection d'abord, et c'est tout l'intérêt, toute l'importance de disposer d'une presse pluraliste et indépendante, capable de détecter et de contrer les manœuvres de désinformation qui sont déployées pour fragiliser la démocratie. C'est l'un des sujets qui nous rassemble aujourd'hui. Ça n'exonère pas la puissance publique de se doter aussi des moyens pour pouvoir attribuer, pour pouvoir débusquer ces manœuvres lorsqu'elles interviennent. Il ne s'agit pas pour la puissance publique de décider de ce qui est juste ou de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Ce n'est pas la question. Mais il s'agit pour la puissance publique de pouvoir caractériser des comportements lorsqu'ils sont inauthentiques et lorsqu'ils sont malveillants. Et c'est ce que la France a fait sous l'impulsion du président de la République en 2021, en créant un service interministériel dont le nom est VIGINUM et dont la vocation n'est pas de distinguer ce qui, sur les réseaux sociaux, est vrai ou faux, mais est de caractériser les ingérences numériques étrangères, c'est-à-dire des comportements venant de l'étranger, manifestement inauthentiques, menés à des fins malveillantes pour fragiliser la démocratie de l'intérieur. Et je pense que ce modèle qui préserve l'intégrité de l'information est tout à fait complémentaire avec l'action résolue d'une presse libre et indépendante et d'une information pluraliste.

Après la détection vient le traitement. Il faut tenir pour responsables les auteurs de ces actes malveillants qui veulent s'en prendre à l'intégrité de l'information. C'est ainsi qu'au niveau européen, des régimes de sanctions ont été mis en place à l'encontre des acteurs malveillants de la propagation d'informations falsifiées sur le territoire de l'Union européenne. Et à titre national, j'ai moi-même porté une loi pour la sécurisation de l'espace numérique dans laquelle nous avons actualisé notre dispositif de répression contre l'utilisation des hyper-trucages, des deep fakes, à des fins malveillantes, puisque notre législation couvrait les montages, elle couvrait les trucages, mais elle ne couvrait pas l'utilisation des deep fakes, c'est-à-dire des hyper-trucages. Donc il y a bien sûr les auteurs malveillants de campagnes de désinformation, mais il faut aussi tenir pour responsables ceux qui fixent les règles des grandes plateformes de réseaux sociaux qui sont devenues d'une certaine manière notre espace public. C'est la raison pour laquelle en 2022, sous l'impulsion de la France, des règles européennes ont été adoptées démocratiquement. C'est le règlement sur les services numériques, ce que l'on appelle le DSA. Et je suis bien obligé de constater avec vous qu'aujourd'hui, ces règles, dont l'Europe s'est dotée démocratiquement et souverainement, ne sont pas respectées.

J'ai sous les yeux le texte du règlement sur les services numériques. Et je vais tout de suite à l'article 28 sur la protection des mineurs en ligne : « les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs mettent en place des mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leurs services. » Est-ce qu'il vous apparaît, chers amis, que cette obligation est respectée par les principales plateformes de réseaux sociaux aujourd'hui ? La réponse est non. J'en viens à l'article 35 de ce règlement sur les services numériques, qui prévoit que « les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et de très grands moteurs de recherche en ligne mettent en place des mesures d'atténuation raisonnables, proportionnées et efficaces, adaptées aux risques systémiques spécifiques, tels que la diffusion de contenu illicite par l'intermédiaire de leurs services, tel que tout effet négatif réel ou prévisible pour l'exercice des droits fondamentaux, tel que tout effet négatif, réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique, enfin tel que tout effet négatif, réel ou prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé publique. » Est-ce qu'il vous apparaît que les grandes plateformes de réseaux sociaux respectent cette obligation qui leur est faite par l'Union européenne ? La réponse est non. J'en viens à l'article 40 pour rebondir sur les propos du professeur Mbembe à l'instant : « les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ou de très grands moteurs de recherche en ligne donnent aux coordinateurs pour les services numériques ou à la Commission, à leur demande motivée et dans un délai raisonnable, l'accès aux données nécessaires pour contrôler et évaluer le respect du présent règlement. » Est-ce qu'il vous apparaît que les grandes plateformes de réseaux sociaux ou les grands moteurs de recherche donnent aujourd'hui l'accès nécessaire aux chercheurs pour évaluer l'impact de leurs algorithmes ? La réponse est non.

Alors quelle doit être la réponse à la réponse ? La réponse à la réponse se situe à l'article 51 de ce règlement. Ce sont des sanctions qui peuvent aller jusqu'à des amendes jusqu'à 6% du chiffre d'affaires et en cas de manquement répété à des restrictions d'accès sur le territoire européen. Et je le dis, notre collègue commissaire européenne n'est peut-être pas encore arrivée, mais je le dis, soit la Commission européenne prononce ses amendes après deux années d'enquête sur certaines de ses plateformes de réseaux sociaux, sans quoi il faut qu'elle restitue aux États membres de l'Union européenne la capacité de prononcer ses amendes. Je vais même aller plus loin et je sais que le président de la République s'exprimera en ce sens, je pense que ce règlement n'est désormais plus suffisant et qu'il nous faudra sans doute, en vertu du principe de précaution, envisager très sérieusement de restreindre l'accès des plus jeunes aux réseaux sociaux tant qu'ils n'auront pas fait le travail nécessaire pour que pendant cette période de la jeunesse où se forge la capacité de discernement des futurs citoyens, ils voient leur capacité d'attention aspirée par des plateformes dont la vocation est essentiellement d'engranger des recettes publicitaires.

La détection, le traitement par la loi et les règlements et puis les anticorps. Les anticorps, c'est le développement de la capacité de discernement. Nous avons mis en place il y a deux ans en France, un module de formation pour les élèves de 6e aux alentours de 13-14 ans pour les familiariser avec tous les pièges qu'ils vont pouvoir rencontrer au moment où ils font leur entrée dans l'espace numérique. Et puis bien sûr, les anticorps, c'est également la JTI [Journalism Trust Initiative] qui permet de revaloriser les médias fiables, pluralistes et indépendants. Je me félicite que ces travaux menés par Reporters sans frontières aient été embarqués par Microsoft dans son moteur de recherche pour valoriser, mieux qu'elle ne l'était auparavant, l'information fiable.

J'en viens à ce que nous pouvons faire ensemble aujourd'hui avec deux éléments que je voulais partager avec vous. D'abord, c'est notre soutien collectif au Fonds international pour les médias d'intérêt public parce que l'action de ce fonds a montré ses pleins effets depuis 2022. Les 62 millions d'euros qui y ont été consacrés ont permis à 100 médias dans 30 pays de résister en quelque sorte à la poussée des désinformateurs, des ingénieurs du chaos qui, en Ukraine, en Moldavie et dans d'autres pays, ont voulu, je dirais, peser sur les décisions de peuples souverains, manipuler les élections, voire même conduire, comme ça a pu être le cas en Roumanie, à leur annulation. Aujourd'hui, c'est 100 millions d'euros qui sont nécessaires. La France y prendra toute sa part, le président de la République y reviendra tout à l'heure. Et la France rejoindra le comité consultatif aux côtés de quatre membres, le Brésil, le Chili, le Portugal et le Luxembourg, que je remercie de leur participation. Donc c'est le Fonds international qu'il nous faut soutenir.

Deuxièmement, c'est cette coalition de nations engagée sur le fondement d'une déclaration politique que nous sommes en train d'adopter collectivement, qui rappelle quelques principes simples : l'importance d'une information fiable, pluraliste et indépendante comme un bien public, la nécessité de lui apporter un soutien public, les menaces à l'intégrité de l'information qui représentent un enjeu de sécurité nationale et collective, l'importance des coalitions et de la collaboration multi-acteurs et multilatérale, et l'importance du Fonds international pour les médias d'intérêt public.

Je veux remercier les 28 pays qui ont d'ores et déjà rejoint cette coalition de nations engagées, l'Albanie, l'Arménie, dont je salue le Ministre des affaires étrangères, l'Australie, l'Autriche, le Brésil, le Chili, la Croatie, le Danemark, l'Estonie, la France, le Ghana, Monsieur le Ministre des affaires étrangères, la Grèce, la Lettonie, Madame la Ministre des affaires étrangères, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, représentée également par son Ministre, la Moldavie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, Sierra Leone, l'Espagne, la Suisse, l'Ukraine, le Royaume-Uni, l'Uruguay et la Bulgarie. J'espère que d'ici la fin de notre réunion, nous aurons amassé de nouvelles signatures pour arriver à une coalition d'au moins 30 pays parce que nous en avons besoin. Je le redis, le virus de la désinformation fait peser une menace existentielle pour la démocratie et c'est notre responsabilité, notre devoir vis-à-vis des générations qui nous ont précédées, qui ont ouvert la voie à ce que nous puissions tirer les pleins bénéfices de la démocratie. Nous le devons aux générations à venir et je crois que nous le devons à nous-mêmes. Merci à vous.

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