RSF - Reporters sans frontières

09/30/2025 | Press release | Distributed by Public on 09/30/2025 13:14

Inde : silence imposé au Jammu-et-Cachemire, une région entière devenue un trou noir de l’information

Six ans après la révocation de son autonomie, le territoire de l'Union du Jammu-et-Cachemire est devenu un trou noir de l'information. Les journalistes qui s'efforcent de continuer malgré tout à informer font face à une pression constante et à de nombreuses entraves. Reporters sans frontières (RSF) alerte sur l'ampleur des atteintes à la liberté de la presse dans la région et appelle les autorités à rétablir un environnement favorable à un journalisme libre et indépendant.

Au Jammu-et-Cachemire, exercer le métier de journaliste est de plus en plus périlleux. Cette région, l'une des plus militarisées au monde, est déjà marquée par une répression intense des voix critiques depuis la révocationde son autonomie en août 2019. La situation de la liberté de la presse s'est encore détériorée lors des affrontements indo-pakistanais de mai 2025 après l'attentat de Pahalgam, notamment avec l'arrestationdu journaliste indépendant Hilal Mir, le 7 mai, pour un simple post Facebook jugé subversif. En outre, plusieurs médias ont été bloqués sur la plateforme X, dont Maktoob Media, Free Press Kashmiret The Kashmiriyat.

Dans ce climat oppressant, les reporters qui tentent toujours d'exercer leur métier restent sous surveillance constante et risquent arrestations et représailles lorsqu'ils abordent des sujets jugés sensibles, comme les violences des forces de l'ordre. Les sources, elles, se taisent par peur. Privés d'accès à un Internet stable ou parfois de cartes de presse, et régulièrement convoqués par la police, les journalistes travaillent dans un isolement croissant.

"Les professionnels des médias du Jammu-et-Cachemire exercent dans un climat d'intimidation permanente, marqué par des restrictions sévères et une pression psychologique constante. Cette réalité menaçante compromet à la fois leur sécurité et l'accès du public à une information libre et indépendante, dans cette région devenue un trou noir de l'information en Inde. RSF lance un appel aux autorités locales pour qu'elles respectent la liberté de la presse, garantissent le libre exercice du journalisme ainsi que la sécurité des reporters, et permettent aux médias indépendants de fonctionner au Jammu-et-Cachemire.

Célia Mercier
Responsable du bureau Asie du Sud de RSF

En se fondant sur plusieurs témoignages de journalistes, qui ont souhaité rester anonymes, RSF dresse un tableau inquiétant des entraves auxquelles sont confrontés les journalistes au Jammu-et-Cachemire aujourd'hui.

Sujets sensibles, sources muettes

  • Des sujets trop risqués à traiter : les journalistes évitent régulièrement de couvrir des sujets sensibles tels que les droits humains, les opérations de sécurité ou la dissidence, afin d'éviter des représailles des forces de l'ordre, voire une arrestation. Vingt journalistes ont été arrêtés en raison de leur couverture depuis 2019 selon les données de RSF, tel le rédacteur en chef du principal média d'investigation cachemiri The Kashmir Walla, Fahad Shah, arrêtéen 2022, après la couverture par son média d'une fusillade entre des militants et les forces gouvernementales. Il restera quasiment deux ans en détention.

  • Des sources silencieuses : inquiets pour leur sécurité, les citoyens hésitent à parler aux journalistes. "Je ne peux pas raconter les histoires que je veux raconter. Lorsque quelque chose se produit, personne n'en parle", a déclaré un journaliste local interrogé par RSF.

Répression judiciaire et harcèlement sécuritaire

  • La menace d'une arrestation en vertu des lois antiterroristes : ces dernières années, plus d'une dizaine de journalistes ont été interrogés ou placés en détention pendant de longues périodes, souvent en vertu de lois draconiennes telles que la loi sur la prévention des activités illégales (Unlawful Activities (Prevention) Act - UAPA). Arrêté en mars 2023 par les services de contre-espionnage, le journaliste de Wande Magazine Irfan Mehraj, est ainsi toujours détenu, pour pas moins de neuf chefs d'accusation, qui vont de la "sédition" au "financement du terrorisme".

  • Une surveillance par les services de sécurité : écoutes téléphoniques, surveillance numérique et filature, sont des pratiques régulières. "Tout ce que j'écris ou dis est constamment surveillé, raconte à RSF un autre journaliste local. La police m'appelle régulièrement pour me demander où je suis ou ce que je fais". Les visites des forces de sécurité au domicile des journalistesou des convocations pour des "interrogatoires informels" sont aussi monnaie courante, selon les informations recueillies par RSF.

Entraves numériques et professionnelles

  • Un accès numérique limité : après une longue coupure Interneten 2019 et une reprise partielle en 2020, les connexions sont aujourd'hui souvent limitées à la 2G et sont régulièrement interrompues lors d'opérations de sécurité.

  • Privés de carte de presse : depuis 2019, nombre de journalistes travaillant pour des médias indépendants, et des pigistes, se sont vu refuser le renouvellement de leur carte de presse, ce qui entrave leurs déplacementsdans cette région quadrillée de check-points. "On me demande souvent ma carte de presse aux points de contrôle, et je n'ai rien à montrer, je ne peux pas prouver mon statut", déplore l'un d'eux.

  • Un passeport annulé et une interdiction de vol : depuis 2019, au moins une douzaine de journalistes, selon les données de RSF, ont vu leur passeport être révoquépar le ministère des Affaires étrangères, sans justification. Entre 2019 et 2022, au moins 22 journalistes ont par ailleurs été placés sur une circulaire de surveillance ("look out circular"), et se sont vus interdits de voyager à l'étranger, selon une enquête du médiaen ligne The Wire. En juillet 2022, la photojournaliste cachemirie et lauréate du prix Pulitzer Sanna Irshad Mattooa été empêchée d'embarquer à l'aéroport de Delhi sans aucune justification, alors qu'elle était invitée au festival de photographie d'Arles, en France.

Isolement professionnel

  • La fermeture du club de la presse du Cachemire(Kashmir Press Club), depuis janvier 2022 par l'administration locale à Srinagar, dans l'extrémité nord du pays, prive les journalistes d'un espace de travail collectif sûr, d'un soutien institutionnel et d'un lieu d'échange professionnel.

  • L'isolement : ce climat d'insécurité engendre épuisement professionnel et insécurité psychologique. "Vous ne pouvez pas travailler librement, parler librement, il est difficile de se faire confiance. C'est ce qui arrive lorsqu'une communauté vit sous des années d'oppression", confie à RSF un journaliste local.

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Publié le30.09.2025
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