11/10/2025 | Press release | Archived content
Le projet du futur gouvernement du Premier ministre Andrej Babis risque de porter atteinte à l'indépendance des médias publics et de faciliter des attaques politiques contre des médias privés et exilés à Prague. Reporters sans frontières (RSF) demande aux parlementaires tchèques de rejeter ces dispositions et à la Commission européenne de considérer la Tchéquie comme un pays à risque pour la liberté de la presse.
Dans une déclaration commune, RSF et le Syndicat des journalistes de la République tchèque alertent, ce lundi 10 novembre, sur le projetdu gouvernement tchèque en formation, qui mènerait à "un recul des libertés et à l'instabilité financière des médias de service public" et "peut également entrer en conflit avec le règlement européen pour la liberté des médias (EMFA)".
L'EMFAimpose, depuis août dernier, aux États membres de l'Union européenne (UE) de garantir "l'indépendance éditoriale et fonctionnelle"des médias publics et de les doter de "ressources financières suffisantes, durables et prévisibles". Or, la majorité issue des élections à la Chambre des députés de début octobre prévoit la suppression de la redevance - garante de l'indépendancede la Télévision tchèque (CT) et de la Radio tchèque (CRo) - afin de "réduire la charge pesant sur les citoyens et les entreprises", sans proposer un autre modèle de financement conforme à la législation européenne.
Par ailleurs, les trois futurs partis de gouvernement s'engagent à "la suppression des coûts en doublon"des médias publics, sans les identifier ni les préciser - une référence potentielle à leurs menaces préélectorales de fusionner CTet CRo, ce qui permettrait de remanier la direction de ces médias qu'ils avaient accusés, sans fondement, d'être "corrompus"par la gouvernement sortant. La promesse du projet de "préserver l'indépendance"des médias publics n'est nullement explicitée.
"En l'état, le projet du futur gouvernement du Premier ministre Andrej Babis est dangereux pour la liberté de la presse. Nous craignons que la faible justification et le caractère vague de ces propositions ne dissimulent une ambition réelle : affaiblir la forte indépendance des médias dans ce pays, classé au 10ᵉ rang du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2025. Conformément à leur responsabilité d'assurer le respect de l'EMFA, nous demandons aux parlementaires tchèques de refuser ces dispositions du programme de gouvernement et à la Commission européenne de suivre de près la Tchéquie en tant que pays à risque en matière de liberté de la presse.
Menace pour les médias privés et en exil dans le pays
Les médias publics ne sont pas les seuls dans le viseur de la nouvelle majorité. Le futur gouvernement mené par Andrej Babis, Premier ministre entre 2017 et 2021, prévoit de nouvelles obligations et restrictions pour des médias privés ou en exil en Tchéquie, enregistrés sous forme d'organisations à but non lucratif. Ceux d'entre eux qui "mènent une activité politique et sont financés depuis l'étranger"devront le "signaler […] de manière transparente". Alors que l'objectif déclaré est "d'empêcher que l'argent public soit utilisé pour l'activisme politique", ces dispositions pourraient en réalité faciliter des attaques politiques contre les médias critiques. Elles semblent en effet inspirées de la loi hongroisesur la protection de la souveraineté - elle-même une version allégée de la loi russe sur les "agents de l'étranger"-, qui permet à la majorité menée par le prédateurde la liberté de la presse qu'est le Premier ministre Viktor Orban d'étiqueterla presse indépendante comme un ennemi d'État.
Andrej Babis n'a d'ailleurs pas tardé à révéler sa véritable motivation. Lors d'une conférence de presse du 3 novembre dernier, il a accuséla rédactrice en chef du site Investigace.cz, Pavla Holcova, de diriger une ONG "politique". Il a fustigé l'autrice d'enquêtes d'intérêt public sur ses villas en France, achetées avec des fonds provenant potentiellementd'activités illicites, lui reprochant de lui "avoir fait perdre les élections en 2021".
L'appel de RSF et du Syndicat des journalistes de la République tchèque fait suite à l'initiativelancée avant les élections d'octobre par l'Association tchèque des éditeurs en ligne, RSF, le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias, le Syndicat des journalistes de la République tchèque et d'autres organisations. Ils avaient alors demandé aux partis politiques d'empêcher toute initiative législative intimidante pour les journalistes et de s'engager à maintenir l'indépendance des médias publics et leurs modèles de financement actuels. RSF se félicite d'ailleurs que notamment l'une des recommandations sur la consultation des professionnels des médias ait été suivie, avec l'organisation, le 13 novembre prochain, par le sénateur d'opposition David Smoljak, d'un séminaire sur les médias publics en présence des directeurs de médias publics et des membres des deux chambres du Parlement.