09/04/2025 | News release | Distributed by Public on 09/04/2025 02:01
La recherche en santé accumule de vastes quantités de données variées et complexes. L'Inserm compte sur l'intelligence artificielle pour mieux les exploiter et faire progresser à vitesse grand V la recherche médicale.
Cet article est issu du rapport d'activité 2024 de l'Inserm
L'intelligence artificielle, la fameuse IA, est sur toutes les lèvres en ce moment. Elle promet de faire mieux et plus vite dans de nombreux domaines. La santé et la recherche médicale n'y échappent pas. L'IA est d'ailleurs déjà utilisée en médecine pour fournir des conseils de santé, modéliser la propagation d'épidémies, analyser des images médicales… Dans un futur proche, les systèmes d'intelligence artificielle pourraient aussi permettre de décupler la valeur des données de santé et de recherche, notamment pour détecter des signes précoces de maladies, personnaliser la prise en charge des patients ou encore mettre en place des essais cliniques innovants.
« Nous sommes assis sur une mine d'or, estime Luc Buée, directeur du centre de recherche Lille neuroscience et cognition. Outre les données démographiques, comme l'âge, le sexe, et les données de santé, telles que la glycémie, la tension artérielle, il existe en France d'excellentes cohortes cliniques qui produisent de nombreuses données de recherche à travers le séquençage des gènes de patients, le dosage de marqueurs biologiques, des évaluations neuropsychologiques ou encore via l'imagerie médicale. L'ensemble de ces données pourrait être exploité de façon globale grâce à l'IA et aux outils numériques. » Avec Elena Moro, professeure de neurologie à Grenoble, et de nombreux autres collaborateurs, le neurobiologiste travaille d'ailleurs sur un projet de programme de recherche (PEPR) appelé Prodrom-ND qui intégrerait ce type de données afin d'améliorer l'identification précoce des patients à risque de développer les maladies d'Alzheimer et de Parkinson ainsi que la sclérose en plaques. « Ces pathologies neurodégénératives peuvent présenter des similitudes, notamment des signes précliniques proches, par exemple sur le plan de l'imagerie, explique-t-il. L'originalité de ce projet est de rassembler dans une même base de données les sujets qui présentent des signes présymptomatiques de ces maladies - on parle de stade prodromique. Cette approche dite « transnosographique », qui considère la neurodégénérescence tel un spectre continu plutôt que comme des maladies isolées, constitue un changement de paradigme pour la prise en charge de ces pathologies. » Au-delà d'un diagnostic plus précoce, l'aboutissement de ce projet permettrait aussi de stratifier les patients pour proposer des traitements à certains sous-groupes et/ou pour optimiser les essais cliniques.
Un autre programme de recherche ambitieux, appelé Santé numérique et lancé en 2023, entend aussi utiliser l'IA pour gérer et exploiter ce volume croissant de données afin d'améliorer notre système de santé. « Son objectif est d'optimiser l'acquisition de données multi-échelles dans le temps et dans l'espace - depuis la cellule, l'organe et l'organisme jusqu'aux populations qui interagissent avec leur environnement - via le développement d'outils numériques et de méthodes innovantes, explique Hugo Landais, chef de projet Inserm de ce programme. L'intégration et le traitement de ces données hétérogènes permettront notamment de construire un « jumeau numérique », c'est-à-dire une représentation numérique de l'organe, de l'organisme, voire d'une partie du système de santé, qui simulera son évolution sur de longues périodes. » Cet outil aidera à personnaliser la prise en charge des patients et favorisera la prévention de certaines pathologies. Le programme, copiloté par l'Inserm et Inria, et financé à hauteur de 60 millions d'euros sur sept ans par le plan d'investissement France 2030, a aussi pour ambition de créer une communauté nationale active sur le territoire et de positionner le pays comme leader européen de l'innovation en santé numérique. Cette structuration est d'ores et déjà en marche. Alors qu'une deuxième phase d'appels à projets est en cours, 17 projets pluridisciplinaires auxquels participent plus de 150 laboratoires de recherche, plus de 40 universités et grandes écoles ainsi qu'une quinzaine d'établissements hospitaliers ont déjà démarré. C'est le cas du projet Smatch coordonné par la biomathématicienne Sarah Zohar, directrice de recherche Inserm et responsable de l'équipe HeKA installée au centre Inria de Paris, et Rodolphe Thiébaut, professeur de santé publique à l'université de Bordeaux. « Son but est de développer et d'appliquer des méthodes statistiques et des approches fondées sur l'IA pour explorer de nouvelles approches et de nouveaux designs d'essais cliniques », précise Sarah Zohar. À terme, des essais in silico, réalisés au moyen de modèles informatiques, pourraient permettre de valider la mise sur le marché de certains médicaments, notamment dans le domaine des maladies rares. « Il existe plus de 6 000 maladies rares et 95 % d'entre elles ne disposent pas de traitements. Or, elles affectent chacune moins d'une personne sur 2 000 et il est difficile de réaliser des essais cliniques statistiquement concluants avec de si petits échantillons », souligne Sarah Zohar.
En parallèle, la biomathématicienne coordonne aussi au nom de l'Inserm le programme européen Invents, qui réunit des acteurs de la recherche académique, des groupes pharmaceutiques et les agences de régulation européennes. « À travers ce projet initié en 2024, nous cherchons à mettre en place une méthodologie pour répondre aux réglementations dans le développement clinique de nouveaux médicaments orphelins, tout particulièrement pour les enfants. L'objectif n'est donc pas de mettre en place de nouvelles études cliniques mais d'utiliser les connaissances et données existantes pour évaluer et optimiser les performances d'essais in silico avec des patients simulés à partir de données réelles dans le but d'améliorer la conception des essais cliniques pour les petites populations. »
Outre ces projets audacieux, l'Inserm participe aussi au développement de pôles d'excellence dans le domaine de l'IA. L'Institut est ainsi engagé dans sept des neuf sites répartis sur le territoire qui ont été labellisés « cluster IA » en mai 2024. Financés par le plan France 2030 à hauteur de 360 millions d'euros, « ces centres permettront de poursuivre l'effort de recherche dans ce secteur stratégique », précise Ellen Van Obberghen-Schilling, directrice de recherche Inserm et chaire émérite de l'Institut interdisciplinaire d'intelligence artificielle Côte d'Azur de Nice, un des sites qui vient d'obtenir le label. La biologiste de l'Institut de biologie Valrose de Nice va ainsi continuer ses travaux sur des outils fondés sur l'IA utilisés pour analyser par imagerie le microenvironnement tumoralafin de mieux comprendre son rôle dans la progression des cancers et dans leur réponse aux traitements. Au-delà de la recherche, « les clusters IA joueront un rôle important dans la formation des futures générations de scientifiques à l'IA », ajoute Ellen Van Obberghen-Schilling.
Ces projets et financements contribuent à faire de la France un acteur majeur de l'intelligence artificielle en Europe et dans le monde mais « il reste différents obstacles à franchir avant d'atteindre nos objectifs en matière de santé numérique, souligne Luc Buée. L'accès aux données n'est pas toujours simple auprès des différents entrepôts de données de santé. Par ailleurs, il y a un travail important à fournir en amont pour permettre une standardisation des données et l'homogénéisation des bases de données. » Des volumes de données, c'est bien, encore faut-il qu'elles soient de qualité et exploitables.
L'utilisation de l'IA dans la recherche médicale soulève de nombreuses questions en matière d'éthique et de responsabilité sociétale.
Le Comité d'éthique de l'Inserm, L'organisation pour une recherche Inserm éthique et responsable (Lorier) et le conseil scientifique de l'Institut ont formé en 2024 un groupe de travail sur les enjeux éthiques liés à l'usage des systèmes d'intelligence artificielle. Ils ont émis un ensemble de recommandations afin que ces technologies soient utilisées de manière équitable, éthique, efficace et transparente. « Il faut sortir de la naïveté vis-à-vis des systèmes d'intelligence artificielle », insiste Hervé Chneiweiss, président du comité d'éthique. Les données personnelles de santé sont ainsi particulièrement sensibles. « Celles-ci ne doivent pas être mises à disposition de grandes sociétés privées », signale le biologiste, qui plaide pour l'utilisation de données synthétiques reproduisant des données réelles sans pour autant correspondre à une personne identifiable. Par ailleurs, « alors que notre société tente de « se décarboner », ces systèmes consomment énormément d'énergie », rappelle-t-il. Au moment où les modèles d'IA disposent de plusieurs centaines de milliards de paramètres, « des systèmes d'intelligence artificielle de plus petite dimension permettraient de consommer moins d'énergie tout en facilitant un meilleur contrôle de la souveraineté des données. L'IA est aujourd'hui devenue un outil incontournable à la recherche en santé mais son utilisation doit se faire de manière raisonnée », conclut le chercheur.
Luc Buée est directeur du centre de recherche Lille neuroscience et cognition (unité 1172 Inserm/Université de Lille/CHU de Lille).
Elena Moro est chercheuse au Grenoble Institut des neurosciences (GIN, unité 1216 Inserm/Université Grenoble-Alpes) à Grenoble.
Hugo Landais est chef de projet à l'Institut thématique Inserm Technologie pour la santé.
Sarah Zohar, directrice de recherche Inserm, est responsable de l'équipe HeKA (Health data- and model-driven approaches for knowledge acquisition, unité 1346 Inserm/Inria/Université Paris-Cité) à Paris.
Rodolphe Thiébaut dirige le centre de recherche Bordeaux Population Health (BPH, unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux).
Ellen Van Obberghen-Schilling est directrice de recherche Inserm à l'Institut de biologie Valrose (iBV, unité 1091 Inserm/CNRS,Université Côte d'Azur) à Nice.
L'intelligence artificielle (IA) est un domaine de recherche en pleine expansion et promis à…
Actualité, Science
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