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09/22/2025 | News release | Distributed by Public on 09/22/2025 07:52

Sepideh Farsi : « Ce film est né du désir qu’on me raconte Gaza de l’intérieur »

Sepideh Farsi : « Ce film est né du désir qu'on me raconte Gaza de l'intérieur »

22 septembre 2025
Cinéma
Tags :
  • documentaire
  • réalisation
« Put Your Soul on Your Hand and Walk » réalisé par Sepideh Farsi et Fatma Hassona RÊVES D'EAU PRODUCTIONS

La réalisatrice franco-iranienne de Put Your Soul on Your Hand and Walk revient sur le processus de création de ce documentaire conçu comme un dialogue avec Fatma Hassona, Palestinienne vivant dans la bande de Gaza. Un film tragiquement endeuillé par la mort de la jeune photojournaliste, le 16 avril 2025, un mois avant sa présentation au Festival de Cannes.

Comment est né Put Your Soul on Your Hand and Walk et cette idée de dialogue avec Fatma Hassona ?

Sepideh Farsi : En octobre 2023, je suis membre du jury du festival War on Screen à Châlons-en-Champagne. Le 6, je fais un aller-retour à Paris pour montrer mon film d'animation, La Sirène, à Normale Sup. Et le 7, en sortant du train qui me ramène à Châlons, j'apprends les attaques du Hamas. C'est évidemment un choc terrible. Et puis, au fur et à mesure, alors que je continue à voyager à travers le monde pour présenter La Sirène, je me rends compte que, où que j'aille, le récit médiatique occulte toute trace du point de vue palestinien. À la fois parce que les journalistes étrangers ne pouvaient pas aller à Gaza, et parce que leurs confrères palestiniens n'étaient pas pris au sérieux et que personne ne parlait aux civils palestiniens. Au bout de quelques mois, cette situation m'est devenue insupportable. Je suis donc partie au Caire pour essayer d'entrer à Gaza. Ce qui était devenu impossible. Sur place, j'ai alors commencé à rencontrer des réfugiés palestiniens qui avaient pu fuir la région. Mais il me manquait une voix de l'intérieur, quelqu'un qui parle depuis Gaza.

Cette personne, ce sera donc la photojournaliste Fatma Hassona. Comment réussissez-vous à entrer en contact avec elle ?

Grâce à un ami palestinien qui la connaissait et savait qu'elle vivait au nord de Gaza. Quand je la contacte, je n'ai aucune idée de la manière dont je vais utiliser son témoignage. Mais je fais des films depuis trente ans, dont des documentaires. J'ai donc appris à suivre mon intuition. C'est ce qui s'est produit ici où, dès notre premier contact téléphonique, le 24 avril 2024, je lui ai demandé que l'on échange en « visio » et je m'y suis préparée. Il émanait de Fatma une telle aura, une telle force tranquille, que j'ai tout de suite décidé qu'il faudrait une manière de filmer très simple et minimaliste. C'est ainsi que Fatma est devenue le centre du film, celle avec qui je n'allais jamais cesser de discuter…

Aviez-vous des rendez-vous réguliers ?

C'était impossible car nos échanges dépendaient de la connexion qu'elle pouvait avoir sur place. Or ils étaient totalement aléatoires, car Israël limite la connexion des territoires palestiniens occupés à la 2G. Mais on se parlait tous les jours via des textos, des photos sur WhatsApp… Je me tenais prête dès qu'elle me donnait son go. J'ai enregistré la totalité de nos échanges en visio car j'ai tout de suite senti que chaque moment était unique, impossible à reproduire.

À une exception près, vers la fin du documentaire, vous ne filmez Fatma Hassona que chez elle. Pourquoi ce parti pris ?

C'était une volonté de ma part de laisser la guerre hors-champ. Je trouvais que rien ne pouvait mieux raconter ce que Fatma était en train de subir comme Palestinienne à Gaza que son visage si expressif. J'ai donc tenu à rester dans son intimité, en utilisant les sons pour entendre au loin le chaos permanent qui règne sur place.

Vous avez cependant intégré une scène où elle sort filmer Gaza…

C'est moi qui le lui ai demandé. Au départ, cela devait constituer l'ultime scène du film. Il me paraissait essentiel qu'au bout de deux heures de huis clos, on sorte de chez elle. Fatma a mis du temps à la faire. Car elle était photographe, pas cinéaste. Ses premières vidéos étaient courtes, en plan trop serré. Je l'ai donc guidée afin de lui expliquer le plus en détail possible comment je voulais qu'elle procède pour qu'elle obtienne ce long plan séquence qui est, pour moi, comme un document historique. En effet, je n'ai rien vu de tel sur Gaza aujourd'hui pour montrer l'étendue de la destruction.

Avez-vous commencé à monter pendant vos échanges ou avez-vous attendu d'avoir terminé ?

J'ai commencé très tôt à dérusher et monter car je sentais en moi une urgence à finir et à montrer ce film pour témoigner de ce qui se passait à Gaza. Tout cela était rendu possible par ce qui se déroulait dans nos échanges avec Fatma. Dès notre deuxième conversation, j'ai ressenti un sentiment de proximité extraordinaire alors qu'on ne se connaissait pas quelques jours plus tôt. J'ai commencé à monter dès cette deuxième conversation. En juin 2024, j'ai envoyé quelques minutes pour les intégrer à Some Strings, un programme de courts métrages en soutien à la Palestine. Mue par cette urgence, j'ai même préparé une version de Put Your Soul on Your Hand and Walk pour le présenter aux Venice Days, une des sections parallèles de la Mostra où il a failli être sélectionné. Cette précipitation était aussi due au fait qu'en juillet 2024, j'ai perdu la trace de Fatma pendant quelques jours et craint pour sa vie. En fait, tout au long de cette aventure, j'ai été déchirée par des sentiments contradictoires : l'urgence que je ressentais à faire entendre la voix de Fatma et le temps long indispensable à la fabrication d'un film. J'ai continué à tourner jusqu'en novembre, tout en intégrant en parallèle au montage les infos sur ce qui se passait à Gaza au fil de ces mois. Pour contextualiser le film.

Qu'est-ce qui vous a décidé à arrêter de tourner ?

J'ai senti que j'étais parvenue à une structure qui tenait la route et fonctionnait aussi bien émotionnellement que d'un point de vue purement informatif. Et en décembre, j'ai commencé à finaliser le montage.

Ce montage donne naissance au film que vous envoyez à l'ACID à Cannes, où il est sélectionné. On voit d'ailleurs dans le documentaire les images de cette annonce à Fatma, folle de joie. Mais le 16 avril, un mois avant le début du Festival, elle est tuée suite à une attaque israélienne sur sa maison. Outre la douleur que vous ressentez, décidez-vous immédiatement de modifier le film ?

Non, au départ, je ne veux absolument pas y toucher. Et puis j'ai finalement ressenti le besoin de laisser une trace de notre ultime conversation dans le film. Pour qu'on puisse la voir exprimer sa joie, et par contraste la violence de me retrouver seule à montrer ce film fait à deux. Je voulais qu'il y ait une trace de cette violence-là, mais à travers des images volontairement très douces. Je ne montre pas sa maison détruite, son corps et ceux des membres de sa famille. Car au fond, pour moi, Fatma est toujours là. Sa lumière, son sourire, sa joie, ses éclats de rire…

Comment avez-vous vécu le Festival de Cannes ?

Pendant les 24 heures entre notre ultime conversation et sa mort, je n'avais cessé de me demander comment j'allais faire sortir Fatma de Gaza pour venir à Cannes et la responsabilité que ça impliquait vis-à-vis d'elle. Et s'il se passait quelque chose pendant son absence ? Et si sa famille mourait ? Alors cette présentation à l'ACID, je l'ai vécue avec la fierté de pouvoir montrer le film et un déchirement parce qu'elle n'était pas là. Même si je sais que je suis dans le déni car elle vit à travers le film. Les retours, ceux des premiers spectateurs, leur manière de me parler de Fatma m'ont bouleversée.

PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK

PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK New Story

Réalisation : Sepideh Farsi et Fatma Hassona
Production : Rêves d'Eau, 24images
Distribution : New Story
Ventes internationales : Cercamon
Sortie le 24 septembre 2025

Soutien sélectif du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)

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