12/17/2025 | Press release | Distributed by Public on 12/18/2025 07:06
Connu pour ses attaques récurrentes contre la presse indépendante, le site OpIndia joue un rôle central dans l'écosystème de discrédit visant les médias en Inde. Entre 2023 et 2025, plus de 300 publications ont ciblé des journalistes, alimentant souvent de vastes campagnes de harcèlement en ligne. Face à ces pratiques, Reporters sans frontières (RSF) demande au parquet indien d'ouvrir une enquête sur le cyber-harcèlement de professionnels de l'information et appelle à une régulation efficace des plateformes ainsi qu'à la fin du financement publicitaire du site via Google AdSense.
RSF a enquêté sur les contenus publiés par OpIndia, site proche de l'idéologie suprémaciste hindoue (hindutva) lancé en 2014. L'organisation révèle que, sur les deux dernières années - entre octobre 2023 et septembre 2025 - au moins 314 contenus ont pris pour cible des journalistes et des médias indépendants. Pour la seule année 2025, entre janvier et septembre, RSF a recensé 91 contenus visant des journalistes et des médias, dont 43 ciblant exclusivement cinq journalistes. RSF a analysé que sur ces 43 publications, 32 ont été suivies de vagues immédiates de harcèlement en ligne. Contacté par RSF au sujet du harcèlement des journalistes liés à ses contenus, le site OpIndia n'a pas répondu.
Désignée comme "prédateur de la liberté de la presse" par RSF en 2025, la plateformea d'ailleurs répliqué en publiant une série de textes et de vidéos attaquant l'organisation, l'accusant notamment de manière fallacieuse de participer à des "complots internationaux de changement de régime".
À la suite d'une campagne menée en 2020 par le réseau Stop Funding Hate ("Arrêtez le financement de la haine"), et après que le rôle de la plateforme dans la diffusion de contenus hostiles à la presse eut été mis en évidence, plusieurs annonceurs ont retiré leurs publicitésd'OpIndia. En 2025, la plateforme demeure en partie financée par des publicités diffusées viaGoogle AdSense, la régie publicitaire du moteur de recherche, alors même que les conditions d'utilisation de ce service interdisent les contenus "incitant à la haine" ou "harcelant, intimidant ou malmenant une personne ou un groupe".
"OpIndia constitue un rouage central du harcèlement systématique visant les journalistes en Inde, qui les met concrètement en danger. RSF appelle la justice indienne à se saisir des campagnes de cyberharcèlement liées à ces publications. Les plateformes, en particulier X, sont également interpellées afin de retirer les contenus haineux qui alimentent ces attaques. Par ailleurs, le maintien du financement du site par le service publicitaire Google AdSense apparaît incompatible avec la persistance de telles dérives. La lutte contre le harcèlement en ligne reste une condition essentielle à la protection des journalistes et à la liberté de la presse en Inde."
Selon l'analyse menée par RSF portant sur la période d'octobre 2023 à septembre 2025 :
En mettant le focus sur 2025, entre janvier et septembre :
Dans un document publié en septembre 2025 comme un "rapport de recherche", OpIndia accuse par ailleurs un réseau fictif de journalistes et de médias de mener une "guerre narrative"contre le gouvernement Modi et de "travailler à un changement de régime en Inde". Des accusations - de "financement étranger", d'"agenda occidental", de "propagande anti-indienne"ou de "collusion avec les ennemis de l'Inde" -qui reviennent régulièrement dans le narratif d'OpIndia.
Après l'annonce de sa sélectionau prix RSF 2025 le 17 octobre, la journaliste Dhanya Rajendran, rédactrice en chef et cofondatrice du média indépendant The News Minute, a été prise pour cible par un contenu d'OpIndia le 23 octobre. Une vague de trolling sur X a suivi, marquée par des pics d'activité simultanés laissant supposer une diffusion automatisée. Plus de 2 300 posts ont directement relayé la publication, et près de 3 000 autres en ont repris les principaux éléments de langage - insinuations de "financement étranger", accusations d'appartenance à des réseaux prétendument "anti-nationaux"et de "journalisme mensonger"- assortis d'appels à son emprisonnement, voire de menaces de mort.
Quelques mois auparavant, en juin 2025, OpIndia avait pris pour cible le cofondateur du site de fact-checking Alt News, Mohammed Zubair, dans une publication l'accusant d'"hindouphobie"après la mise en avant d'un ancien tweet dans lequel il avait partagé une caricature d'Amit Shah, actuel ministre de l'Intérieur et figure du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti au pouvoir. Entre le 20 et le 21 juin, le compte X d'OpIndia a relayé à trois reprises la publication visant le journaliste. Chaque reprise déclenchant une vague d'attaques en ligne. Alors que quelque 762 posts ont été publiés au cours des 24 heures précédant la diffusion d'OpIndia, ce chiffre est monté jusqu'à 3 300 dans les 24 heures suivantes.
Un an plus tôt, c'était une journaliste du site d'information The Wire, Arfa Khanum Sherwani,qui était dans le viseur d'OpIndia. Début août 2024, un post sur X de Nupur Sharma, la responsable d'OpIndia, a déclenché un déferlement d'insultes et d'appels à son arrestation. Le site a ensuite publié un contenu la qualifiant de "hindouphobe"et l'accusant d'être alignée sur une "organisation terroriste".
Le journaliste indépendant Meer Faisal, a lui été qualifié de "propagateur de fausses informations"et d'"islamiste", dans une publication de juin 2025 déclenchant une vaguede harcèlement en ligne. Lorsqu'il a engagé une procédure en diffamation contre OpIndia, les administrateurs du canal Telegram "Angry Saffron" - proche de la mouvance suprémaciste hindoue et identifié comme relayant ou amplifiant des contenus d'OpIndia - ont appelé leurs abonnés à diffuser massivement des posts sur X l'accusant de "désinformation communautaire". "Leurs contenus ont déclenché une vague de harcèlement en ligne,raconte le journaliste contacté par RSF. J'ai été qualifié de terroriste, et j'ai reçu de nombreux messages haineux et des menaces. La plupart de ces attaques n'étaient pas seulement des provocations ; il s'agissait de tentatives systématiques visant à nuire à ma réputation et à compromettre ma sécurité. Les abus ne se sont pas limités à Internet : certains ont tenté de contacter mes proches pour obtenir des informations personnelles."
Les correspondants étrangers également visés
Les journalistes étrangers n'échappent pas non plus à la vindicte d'OpIndia. En mars 2024, une série de cinq contenus a ciblé la correspondante du quotidien britannique The Guardian, Hannah Ellis-Petersen, l'accusant de mener une "campagne anti-hindoue", à la suite de la publication de son enquête sur des assassinatsprésumément commis par les services secrets indiens à l'étranger. Ces contenus ont été suivis d'une vague de harcèlement en ligne visant la journaliste, que RSF a identifiée et documentée dans son analyse.
Un schéma similaire s'est reproduit en avril 2024 contre la correspondante de la chaîne australienne ABC News, Avani Dias, après la diffusion de son filmsur l'assassinat au Canada d'un militant séparatiste sikh en exil - une affaire pour laquelle le gouvernement canadien avait mis en cause les autorités indiennes. En 48 heures, quatre contenus publiés sur OpIndia l'ont qualifiée de"menteuse"et d'"anti-Inde", déclenchant une nouvelle vague de harcèlement en ligne, amplifiée par une douzaine de posts publiés par le site sur X, que RSF a également retracée.
Les contenus d'OpIndia circulent bien au-delà du contexte indien. Une enquêtedu magazine américain Wiredpubliée en mai 2024 a montré que les contenus du site sont aussi régulièrement diffusés sur des groupes Telegram de propagande russe. Une étudepubliée en 2024 dans la revue scientifique Communication Monographsa également documenté la diffusion de ces contenus dans des groupes d'extrême droite au Royaume-Uni - RSF constate que c'est toujours le cas en 2025. Par ailleurs, selon des enquêtes journalistiques du média indépendant en ligne Newslaundrypubliées en 2020, 2022 et 2024, le site OpIndia a aussi été impliqué à plusieurs reprisesdans la diffusionde désinformation.