10/30/2025 | News release | Distributed by Public on 10/30/2025 10:04
La principale ville de l'État du Darfour du Nord, dans l'ouest du pays, n'est plus qu'un champ de ruines. Les Forces de soutien rapide (FSR) y ont enfin imposé leur loi, après plus de 500 jours de siège, laissant derrière elles des centaines de cadavres, des hôpitaux bombardés, des familles décimées. Des témoignages crédibles évoquent des exécutions massives, des viols systématiques et des civils empêchés de fuir.
« El Fasher, qui était déjà le théâtre d'un niveau catastrophique de souffrance humaine, a sombré dans un enfer plus sombre encore », a dénoncé, jeudi, le chef des affaires humanitaires de l'ONU, Tom Fletcher, devant le Conseil de sécurité. La veille, près de 500 patients et accompagnants auraient été tués dans la maternité de l'hôpital de saoudien, « le dernier exemple de la dépravation avec laquelle cette guerre est menée ».
Les civils fuient à pied vers les localités voisines de cette région en proie à la famine depuis l'été 2024. À Tawila, plus au sud-ouest, un campement saturé a vu le jour, où les organisations humanitaires parlent de « foules traumatisées » et de « corps amaigris à l'extrême ».
M. Fletcher a rappelé que 13,5 millions de personnes ont reçu une aide depuis le début de l'année dans le pays, malgré les attaques et les entraves à son acheminement. Face aux événements des derniers jours, il a annoncé avoir alloué 20 millions de dollars du Fonds central d'intervention d'urgence (CERF) des Nations Unies pour le pays.
Depuis avril 2023, une guerre fratricide oppose les forces armées soudanaises aux paramilitaires des FSR. Aucune région du pays n'est épargnée. En une semaine, les drones ont frappé marchés et villages dans les États du Nil Bleu et de Sennar, dans le sud-est, et à Khartoum, dans le centre.
Au Kordofan voisin, la ville de Bara est également tombée aux mains des FSR ; des exécutions sommaires y ont visé des civils accusés de « collaboration », parmi lesquels cinq volontaires du Croissant-Rouge soudanais. Environ 25 000 personnes auraient été contraintes de fuir les violences dans la zone, selon l'Organisation internationale pour les migrations.
« La situation est simplement horrifiante », a constaté Martha Pobee, la Sous-Secrétaire générale de l'ONU pour l'Afrique, devant le Conseil de sécurité. S'agissant des civils demeurés à El Fasher, elle a reconnu que « personne n'est en sécurité » à l'heure actuelle. Les communications ont été coupées, les rues transformées en pièges, les maisons fouillées une à une.
Dans un rapport publié jeudi, une mission établie par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU pour enquêter sur les violations au Soudan fait état d'un « schéma délibéré d'exécutions ethniquement ciblées de civils non armés », accompagné de « violences sexuelles, de pillages à grande échelle, de destruction d'infrastructures vitales et de déplacements forcés massifs ».
« Alors qu'El Fasher brûle et que des millions de personnes font face à la famine, le monde doit choisir entre le silence ou la solidarité », a averti Mohamed Chande Othman, président de la Mission, dans un communiqué. Selon lui, la chute de la ville « marque un tournant dévastateur » dans un conflit qui a déjà « anéanti la vie civile et l'État de droit ».
Le rapport met en cause les deux camps pour des « crimes de guerre et crimes contre l'humanité » et réclame la création d'un mécanisme judiciaire indépendant, en partenariat avec la Cour pénale internationale (CPI), pour juger les responsables des crimes les plus graves dans l'ensemble du territoire soudanais.
Au-delà des massacres, c'est la faim qui gagne. Plus de 24 millions de personnes, soit 40 % de la population, n'ont pas assez à manger. Trois quarts des foyers dirigés par des femmes sont en insécurité alimentaire. Les travailleurs humanitaires font face à des expulsions arbitraires, à l'instar du directeur du Programme alimentaire mondial, qui a été sommé cette semaine de quitter le pays par les autorités nationales.
L'effondrement est aussi générationnel : 90 % des enfants n'ont plus accès à l'école et près d'un civil sur cinq tué ce mois-ci à El Fasher était un mineur. « Le monde a trahi une génération entière », a résumé M. Fletcher.
Face à l'ampleur de la catastrophe, les initiatives diplomatiques peinent à suivre. Le médiateur onusien Lakhdar Lamamra tente de relancer des pourparlers techniques sur la protection des civils, après des signaux d'ouverture des deux camps. Un processus plus large est en préparation à Addis-Abeba, sous l'égide de l'Union africaine et de l'ONU, pour poser les bases d'un dialogue intersoudanais.
Mais, constate Mme Pobee, « le Conseil de sécurité n'a pas pris de mesures décisives pour empêcher la détérioration de la situation ». Elle a notamment dénoncé l'« ingérence extérieure » d'autres pays fournissant des armes, des combattants et des financements étrangers à l'économie de guerre.
Face à cette situation, Tom Fletcher n'a pas caché sa colère. « Je demande aux membres du Conseil d'étudier les images satellites d'El Fasher : du sang sur le sable. Et d'étudier notre incapacité à agir : du sang sur les mains ».
Il a appelé à un « accès humanitaire total », à « la fin immédiate des atrocités » et à « une pression réelle » sur les responsables de cette guerre. Avant de conclure : « Où est notre diplomatie ? Où sont nos valeurs ? Où est notre Charte ? Où est notre conscience ? ».