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11/03/2025 | Press release | Distributed by Public on 11/03/2025 04:12

Recycler les ions pour illuminer les éléments les plus lourds

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Recycler les ions pour illuminer les éléments les plus lourds

Un piège électrostatique dans ISOLDE pourrait servir à étudier la réactivité chimique d'éléments rares et mal connus

3 novembre, 2025

Illustration du piège à ions utilisé par l'équipe d'ISOLDE pour mesurer l'affinité électronique du chlore. Le principe du piège est de faire rebondir des anions de chlore à de multiples reprises entre deux miroirs électrostatiques afin de permettre au faisceau laser (en rose) de sonder les anions beaucoup plus longtemps qu'avec les techniques de mesures habituelles. La fréquence laser est alors calibrée pour déterminer l'exacte énergie à partir de laquelle l'électron supplémentaire (représenté par le petit cercle blanc) est éjecté de l'anion. (Image : collaboration MIRACLS)

Dans des phénomènes aussi différents que la combustion du bois et l'action des médicaments, les propriétés et le comportement de la matière sont régis par la façon dont les éléments se lient entre eux. Pour beaucoup des 118 éléments connus, la structure électrique intriquée des atomes responsables des liaisons chimiques est bien comprise. Cependant, pour les éléments super-lourds situés aux extrémités du tableau périodique, mesurer ne serait-ce qu'une seule propriété représente un défi majeur.

Dans un article publié dans la revue Nature Communications, une équipe de scientifiques travaillant auprès d'ISOLDE, au CERN, a décrit une nouvelle technique qui pourrait servir à déchiffrer la chimie des éléments (super-)lourds et pourrait trouver des applications pour la recherche en physique fondamentale et les traitements médicaux.

Les éléments super-lourds sont très instables, et ne peuvent être produits qu'en très petites quantités dans des laboratoires utilisant des accélérateurs. C'est pourquoi les scientifiques commencent par perfectionner leurs techniques sur des éléments stables et plus légers.

L'équipe d'ISOLDE a développé une nouvelle méthode basée sur le piégeage des ions afin de mesurer précisément l'affinité électronique du chlore. Cette méthode nécessite une quantité beaucoup plus faible d'atomes que les expériences précédentes, ouvrant la voie à la possibilité de mesurer cette propriété dans des éléments super-lourds.

L'affinité électronique est l'énergie qui se dégage lorsqu'un électron est ajouté à un atome neutre pour former un ion négatif, ou « anion ». C'est l'une des propriétés les plus fondamentales des éléments : elle détermine la façon dont ceux-ci forment des liaisons chimiques.

Les méthodes classiques de mesure de l'affinité électronique consistent à propulser des anions de l'élément étudié sur la trajectoire d'un faisceau laser. La fréquence laser est alors calibrée pour déterminer l'exacte énergie à partir de laquelle l'électron supplémentaire issu de l'anion est éjecté, ce qui correspond à l'affinité électronique de l'atome neutre. Cependant, dans le cas des éléments (super-)lourds, instables, produits à une cadence de quelques anions par seconde ou moins, cet unique passage des anions dans le faisceau laser ne suffit pas à mesurer l'affinité électronique.

Pour résoudre ce problème, l'équipe d'ISOLDE a piégé les anions de chlore dans un dispositif de multi-réflexion des ions permettant une spectroscopie laser colinéaire, appelé MIRACLS Dans ce piège, les anions de chlore rebondissent à de multiples reprises entre deux miroirs électrostatiques, comme des balles de ping-pong, ce qui permet au faisceau laser de les sonder à chaque passage.

« Bien qu'elle utilise cent mille fois moins d'anions, la nouvelle méthode basée sur MIRACLS permet de mesurer l'affinité électronique avec une précision semblable à celle des techniques classiques, dans lesquelles les anions ne sont traversés par le faisceau laser qu'une seule fois, contre environ soixante mille fois dans notre expérience, explique Franziska Maier, autrice principale de l'étude. Dans notre approche, les miroirs du piège servent principalement à « recycler » les anions, ce qui ouvre la voie aux mesures de l'affinité électronique dans les éléments super-lourds. »

Erich Leistenschneider, second auteur principal de l'étude, ajoute que les propriétés des éléments super-lourds pourraient venir brouiller les limites du tableau périodique. « À mesure que le nombre de protons augmente, la relativité d'Einstein vient modifier la structure des atomes. On peut donc se demander si les frontières entre les groupes d'éléments du tableau périodique pourraient s'effacer, et si la chimie des éléments super-lourds pourrait s'éloigner des tendances périodiques "normales". L'affinité électronique est l'une des propriétés qui seront largement affectées par ces effets, et nos mesures serviront à étudier cela. »

Outre son intérêt dans la perspective de mesures des affinités électroniques des éléments super-lourds, l'approche basée sur MIRACLS pourrait être appliquée aux éléments rares présents sur Terre, notamment l'actinium, qui, comme l'astate, est un candidat prometteur à la création de composés chimiques pour le traitement du cancer. Cette approche pourrait également servir à mesurer l'affinité électronique de molécules, afin de fournir des données pour des calculs théoriques visant à prédire leur structure électronique. De tels calculs sont nécessaires pour les recherches sur l'antimatière et les molécules radioactives, qui suscitent un intérêt croissant dans le cadre de l'étude des symétries fondamentales de la nature.

ISOLDE
CERN - European Organization for Nuclear Research published this content on November 03, 2025, and is solely responsible for the information contained herein. Distributed via Public Technologies (PUBT), unedited and unaltered, on November 03, 2025 at 10:12 UTC. If you believe the information included in the content is inaccurate or outdated and requires editing or removal, please contact us at [email protected]