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12/29/2025 | News release | Distributed by Public on 12/29/2025 10:13

Entretien avec la cinéaste Tamara Stepanyan pour « Le Pays d’Arto »

Entretien avec la cinéaste Tamara Stepanyan pour « Le Pays d'Arto »

29 décembre 2025
Cinéma
« Le Pays d'Arto » réalisé par Tamara Stepanyan LA HUIT PRODUCTION - PAN CINEMA

La réalisatrice arménienne connue pour son travail documentaire signe sa première fiction et explore les blessures de son pays à travers le parcours d'une Française incarnée par Camille Cottin. Entretien.

Conjointement à la sortie de votre premier long métrage de fiction, Le Pays d'Arto, vous avez signé un documentaire très personnel sur votre père, Mes fantômes arméniens. Comment ces films s'inscrivent-ils dans votre parcours ?

Tamara Stepanyan : Mon père, Vigen Stepanyan, était un acteur et un réalisateur du cinéma dit « soviétique arménien ». Mes fantômes arméniens se veut une exploration à la fois intime et intellectuelle, une réflexion sur l'art. J'aime ce dialogue entre le personnel et le collectif. Ce documentaire est une lettre d'amour à mon père, à mon pays et au cinéma. Si Le Pays d'Arto sort aujourd'hui, il a mis presque dix ans à s'écrire. J'ai commencé, arrêté, repris, tourné d'autres documentaires… En Arménie, nous avons souvent le sentiment d'être rattrapés par l'histoire. La guerre de 2020 [deuxième guerre du Haut-Karabagh avec l'Azerbaïdjan, ndlr] m'a obligée à reprendre tout le scénario de départ. Je ne pouvais pas ignorer ce qu'il venait de se passer. Dix jours avant la guerre, j'avais déposé la demande d'Aide à l'écriture (Soutien au scénario) du CNC. J'ai écrit une lettre dans la foulée pour expliquer les changements nécessaires. Lors de la commission plénière, j'ai pu développer ce rapport quasi instantané à l'Histoire en train de s'écrire. Le jury a très bien compris ces ajustements.

Autre cataclysme survenu durant le processus de production, la mort de votre père en 2021…

Tout s'est, en effet, entremêlé. En regardant des photos de lui, j'avais l'impression qu'il me prenait la main pour me guider vers ce cinéma soviétique arménien auquel il avait appartenu. J'étais éblouie par cette richesse artistique que je connaissais mais pas de façon aussi précise. Dès lors, je ne pouvais pas laisser ça de côté. C'est ainsi que j'ai commencé la réalisation de Mes fantômes arméniens en parallèle. Je n'avais bien sûr pas prévu que les deux films sortent la même année, mais des sélections prestigieuses en ont décidé autrement. Mes fantômes arméniens a été présenté dans le cadre du Forum de la Berlinale et Le Pays d'Arto, au Festival international du film de Locarno. Je pense qu'en définitive, l'un a nourri l'autre.

Le cinéma reste le cinéma. Documentaire, fiction, animation… Les formes diffèrent mais l'élan est le même […] Certaines histoires se racontent par le réel, d'autres nécessitent la fiction.

Les deux œuvres explorent le deuil, la mémoire…

Le Pays d'Arto parle du présent à travers le passé d'un homme. C'est un film sur les traumatismes d'un pays, sur la façon dont l'image fragmentée d'une personne peut dessiner les contours d'un monde fracturé. L'Arménie est petite mais son histoire est immense. Elle a été souvent attaquée et s'est toujours relevée. La fiction me permettait d'interroger la façon de transmettre une mémoire à des enfants sans la trahir. Le personnage d'Arto était-il un héros ? Un déserteur ? La réponse est forcément complexe.

Cette première incursion dans la fiction a-t-elle nécessité une nouvelle façon de travailler ?

Le cinéma reste le cinéma. Documentaire, fiction, animation… Les formes diffèrent mais l'élan est le même. On me dit souvent : « C'est votre premier film », or si c'est ma première fiction, il s'agit de mon cinquième long métrage. Certaines histoires se racontent par le réel, d'autres nécessitent la fiction.

Est-ce que la méthode reste toutefois la même ?

Je prépare mes documentaires comme mes fictions : beaucoup de repérages, des rencontres… Cela passe par une immersion totale. Pour Le Pays d'Arto, j'ai parlé à d'anciens combattants, des veuves de guerre… Le matériau venait du réel. Grâce à mon père, j'ai grandi dans le monde du théâtre. J'ai donc un lien très fort avec les acteurs. Si durant l'écriture d'un documentaire, je suis seule, la fiction est un travail d'équipe. J'étais entourée, par exemple, de quatre coscénaristes. Pour les repérages, je suis partie en voyage au cœur de l'Arménie avec ma chef opératrice Claire Mathon. Sur place, nous avons évoqué des références qui pourraient structurer mon inspiration.

Lesquelles ?

Still Life de Jia Zhangke. J'aime la façon qu'a ce cinéaste d'appréhender l'espace par le plan-séquence, de regarder un monde en ruines… Ça me fascine. Claire (Mathon) a compris immédiatement. Le cinéma est pour moi un moment de partage très précieux.

Vous avez coécrit le scénario avec plusieurs personnes. Comment cette équipe s'est-elle constituée ?

Au départ, nous étions deux : Jean-Christophe Ferrari et moi. Nous avons voyagé, réfléchi, dessiné les contours d'un récit… Puis nous avons mis le projet en pause. Nous voulions pouvoir y revenir un jour. Ce jour est arrivé lorsque mon producteur de documentaires, Stéphane Jourdain, m'a demandé si j'avais une fiction à lui proposer. J'ai donc ressorti ce projet. Il a aimé et m'a conseillé de faire appel à un consultant. Jean Breschand est alors entré dans le travail d'écriture. Nous avons sollicité l'Aide à l'écriture et l'avons obtenue. Forte de ce soutien, j'ai invité Jihane Chouaib comme nouvelle consultante. Nous étions alors quatre et avons passé presque un an à développer le scénario.

Quel fil reliait ce travail d'écriture ?

L'idée centrale n'a jamais changé : une femme part en Arménie pour savoir qui était vraiment son mari, décédé quelques mois plus tôt. Si, dans la première version, le mari était mort dans un accident, l'irruption de la guerre de 2020 nous a incités à imaginer un suicide afin de rendre saillantes les blessures du conflit. La défaite face à l'Azerbaïdjan a entraîné un véritable traumatisme au sein de toutes les couches de la population arménienne. À commencer par mon père, décédé trois jours après la perte de la partie nord du Karabagh.

Outre les fractures de la guerre, Le Pays d'Arto parle de la grande part de mystère que chacun cherche à préserver…

Ce thème transposé au sein d'un couple nous passionnait tous. À quel point connaît-on vraiment l'autre ? Jusqu'où peut-on tout raconter de sa propre histoire ? Romy Coccia Di Ferro, la dernière coscénariste, est arrivée à la fin du processus et s'est occupée de l'écriture des dialogues. Elle apportait sa jeunesse et sa fraîcheur.

Comment avez-vous vécu le tournage en Arménie ?

Il n'était pas évident d'emmener toute l'équipe composée à la fois de techniciens arméniens et français sur les routes. L'entente a été parfaite, sans rapport de force. Si certains techniciens français avaient plus d'expérience que leurs confrères arméniens, ces derniers avaient un grand désir d'apprendre à leurs côtés. Les Français ont vécu des moments très forts. De par son histoire, l'Arménie porte en elle une intensité particulière. À la fin, beaucoup m'ont dit : « Nous avons fait un vrai voyage aussi bien cinématographique qu'humain. » C'est exactement ce que ressent le personnage incarné par Camille Cottin.

Le Pays d'Arto

Le Pays d'Arto Pan Distribution

Réalisé par Tamara Stepanyan
Écrit par Tamara Stepanyan, Jean-Christophe Ferrari, Jean Breschand, Jihane Chouaib, Romy Coccia Di Ferro
Produit par : Stéphane Jourdain et Camille Gentet
Distribué par : Pan Distribution
Ventes internationales : Be For Films
Sortie le 31 décembre 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Soutien au scénario (aide à l'écriture), Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)

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